Politique et diplomatie - Comparaison n'est pas raison
Dans une interview publiée dans le New York Times le mardi 12 février 1985, le président Ronald Reagan a précisé ses vues sur le projet de défense stratégique dont il avait exposé les grandes lignes dans son discours du 23 mars 1983 (1). Ses précisions portent notamment sur deux points et sont censées se renforcer l’une l’autre. Le président indique en effet que la recherche et le développement d’un système défensif contre les armes nucléaires sont nécessairement indépendants des résultats des négociations qui vont s’engager sur les armes offensives. Le président justifie ce « découplage » en se référant au précédent que constituent la recherche, la production et l’utilisation des armes chimiques et les mesures de protection qui ont été adoptées contre leurs effets, nonobstant les accords internationaux qui en interdisaient l’emploi : « supposons, dit le président, que les négociations sur les armements réussissent et que nous parvenions à nous mettre d’accord pour nous en débarrasser (des armes nucléaires), de même que nous sommes convenus dans le passé d’interdire les gaz de combat… Or à un moment quelconque, dans une période de tension, quelqu’un pourrait dire, comme ce fut le cas dans les années récentes : peut-être serait-il bon pour nous de produire un certain nombre de ces armes nucléaires offensives. Nul ne saurait dire si l’adversaire en dispose ou non, mais au moins votre sécurité serait assurée si vous aviez l’équivalent d’un masque à gaz. Si quelqu’un trichait et décidait de se doter de l’arme prohibée, vous disposeriez d’un moyen de l’intercepter, de même qu’aujourd’hui vous pouvez mettre votre masque à gaz si quelqu’un triche et veut utiliser des gaz de combat ».
La conclusion logique de ce raisonnement est en effet qu’il convient, pour les États-Unis, non seulement de promouvoir la recherche mais d’entreprendre la production et le déploiement d’armes défensives antibalistiques, quels que soient les résultats des négociations engagées avec l’Union Soviétique, négociations qui en principe doivent porter à la fois sur les systèmes défensifs, sur les systèmes stratégiques et sur les armes de portée intermédiaire.
Les perspectives ouvertes par ces déclarations du président Reagan suscitent des questions qu’ont relevées certains commentateurs les plus autorisés. Mais avant de les évoquer, il convient de s’interroger sur le bien-fondé de l’argument tiré de l’analogie des armes nucléaires avec les armes chimiques et les gaz de combat. L’occasion nous en est donnée puisque Défense Nationale vient de publier trois excellents articles de Pierre Ricaud sur la défense chimique (2) : tout d’abord, il s’agit d’une technique ancienne dont les premières applications militaires remontent à l’antiquité. Sans doute fut-elle considérablement développée en fonction des nouvelles capacités scientifiques et industrielles au XXe siècle, mais l’utilisation de l’arme chimique dans les grands conflits du siècle qui vient de s’écouler n’a pas constitué une rupture, ni dans la pensée stratégique, ni dans la politique d’armement.
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