Présentation
Le 21 mars dernier, le Comité d’études de défense nationale (CEDN) dont l’organe d’expression est la revue Défense Nationale a tenu une réunion-débat sur le sujet : « Endettement international et économie mondiale ».
À l’occasion de cette réunion, ont pris successivement la parole MM. Pierre Mayer et Paul Mentré, inspecteurs généraux des Finances, M. Yves Guihannec, rédacteur en chef adjoint de l’Express. Ces exposés ont été suivis d’un débat dont les éléments essentiels font l’objet d’un bref compte-rendu.
Nous avons pensé utile de nous interroger sur les conséquences, dans l’économie mondiale, du formidable endettement international dont le gonflement au début des années 1980 a déclenché ce qu’on a pu appeler le premier choc bancaire, contrepartie lui-même du second choc pétrolier de 1979.
Quelles sont les données de ce problème ? Je rappelle brièvement quelques points de repère pour ouvrir le débat. Au début des années 1970 environ le tiers des flux financiers dirigés vers le Tiers-Monde était d’origine bancaire ; à la fin des années 1970 la proportion dépassait 60 % et les intérêts de la dette étaient en grande partie fixés à des taux variables, axés généralement sur le taux du marché interbancaire de Londres. Non seulement la dette avait atteint un volume excessif, mais de plus elle était devenue vulnérable aux fluctuations des taux d’intérêt sur les marchés financiers internationaux. Quelque vingt à trente banques, essentiellement américaines et européennes, suivies par environ deux mille banques, se sont lancées dans des opérations de prêts extrêmement importants à des pays du Tiers-Monde, principalement en Amérique latine et en Afrique. De sorte que les seuls engagements vis-à-vis de l’Argentine, du Brésil, du Mexique, du Venezuela et du Chili représentaient pour ces banques en 1980 une proportion très élevée de leurs fonds propres allant de 141 % pour la Morgan à 263 % pour la Hanover.
Il est important d’observer que les ripostes imaginées lorsque cette sorte de bombe à retardement a éclaté, quand le Mexique en août 1982 s’est déclaré incapable de faire face au service de sa dette, ont été adaptées cas par cas, avec une remarquable souplesse. Finalement le système international a répondu avec une très grande flexibilité au défi gigantesque qui lui était lancé. À ce résultat ont concouru le Fonds monétaire international, la Banque des règlements internationaux, le Club de Paris et, en dernier ressort, les États.
Quelles sont les perspectives désormais ouvertes ? Il faut d’abord essayer de comprendre ce que signifie cette évolution qui marque la transformation radicale de l’économie mondiale maintenant globalisée et qui se superpose au jeu, naguère déterminant, des acteurs nationaux. Il faut ensuite essayer d’identifier les effets bénéfiques et maléfiques de cette évolution ; et enfin, tenter de relier l’ajustement des économies aux évolutions probables des grands pays industriels, et d’abord du premier d’entre eux, les États-Unis.
C’est dans ce dessein que nous avons invité Paul Mentré et Yves Guihannec à évoquer ces problèmes, l’un du point de vue d’un technicien, l’autre de celui d’un grand reporter, afin d’essayer de comprendre cette mutation financière et technologique qui devient aujourd’hui l’un des véhicules essentiels des pouvoirs, de même que le pétrole a été un véhicule de la redistribution des puissances dans les années 1970. On constate d’ailleurs qu’il y a eu, dans les deux cas, affirmation d’un pouvoir d’influence stratégique, qu’on a ensuite assisté à une phase de stabilisation apparente, vers les années 1975 pour ce qui concerne le pétrole, depuis 1984 pour le système financier international, et finalement que nous sommes aujourd’hui dans une phase de recherche de cohérences et d’ajustements en vue de nouvelles régulations internationales.
À ces transformations contribue d’ailleurs un facteur de grande portée : le renversement de l’attitude des créanciers dans le monde vis-à-vis des débiteurs. On peut en effet considérer que depuis 1914 pratiquement jusqu’en 1980, les investisseurs et les épargnants dans le monde se résignaient à être rémunérés avec des taux d’intérêt qui en réalité étaient négatifs ou égaux à zéro. Mais depuis 1980 ils ont intégré le jeu de l’inflation de sorte que les taux d’intérêt désormais exigés sont positifs. Ceci entraîne des conséquences économiques de taille : l’argent étant devenu très cher, le seuil de rentabilité pour le choix des investissements doit être relevé ; ceci contribue à accélérer la redistribution des forces économiques et industrielles à travers la planète et en particulier aux États-Unis. Les décisions d’investissement doivent être beaucoup plus mûries et réfléchies qu’elles ne l’étaient auparavant. Jadis l’inflation sauvait bien des erreurs lorsque les taux d’intérêt étaient négatifs. Aujourd’hui, elle tend à les sanctionner depuis que ceux-ci sont devenus positifs, et cela d’autant plus qu’elle recule actuellement dans le monde.