Opinions finlandaises
Quand on évoque la Finlande, on parle souvent de souveraineté limitée, de finlandisation, de dépendance économique et énergétique vis-à-vis de l’URSS, de capacité de défense théorique.
C’est pourquoi c’est une grande occasion pour moi, officier finlandais, de vous présenter quelques opinions concernant d’abord notre politique de sécurité, ensuite notre économie et enfin notre capacité de défense.
La politique de sécurité
Il existe en Europe un certain nombre d’États neutres. La neutralité de chacun d’entre eux a ses traits particuliers en fonction de son histoire et de sa position géographique. Dans le cas de la Finlande, il ne s’agit pas d’une neutralité juridique, mais d’une orientation politique, choisie librement par son gouvernement comme la meilleure solution pour garantir sa sécurité.
On dit quelquefois ici que le traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle de 1948 (ACA), est incompatible avec une neutralité authentique. Ce n’est pas notre avis.
Le traité impose à la Finlande « …fidèle à son devoir d’État indépendant… » de se défendre « dans les limites de ses frontières » avec « …toutes les forces dont elle dispose… » dans le cas d’agression de la part de l’Allemagne ou d’une puissance alliée à celle-ci. C’est pratiquement ce que fait chaque pays qui est attaqué, même sans traité. Pour repousser une telle agression, la Finlande pourra recevoir de l’aide de la part de l’URSS après consultations mutuelles et donc avec le consentement du gouvernement finlandais.
Ce traité est donc tout à fait différent des autres traités d’ACA ; il n’y a pas de coopération militaire en temps de paix ni d’automatisme, et on constatera que la Finlande est obligée de défendre uniquement son propre territoire avec ses propres moyens. Ce traité détermine donc le comportement de la Finlande dans une situation bien précisée qui n’existe pas en temps de paix.
Pourquoi ce traité est-il différent ?
Au cours des siècles, la Finlande a vu beaucoup plus de guerres contre les Russes qu’aucun autre pays occidental. Pour cette raison, ceux-ci connaissent bien notre capacité et notre volonté de défense. Nous n’avons jamais été occupés et donc jamais libérés par l’Armée rouge.
Après avoir perdu environ un million de soldats sur nos frontières, les Soviétiques, également, ont préféré une autre solution que la guerre pour la sécurité de la région de Leningrad. Pour eux aussi le traité empêche l’histoire triste de se répéter.
Avec celui-ci, la méfiance d’autrefois s’est progressivement transformée en confiance mutuelle d’aujourd’hui ; mais vous comprenez bien que les relations entre des nations ne changent pas en une nuit. Je pense que l’évolution des relations entre la France et la RFA fut assez semblable.
En fait, ce traité et nos bonnes relations avec l’URSS sont largement vus comme des facteurs de la stabilité dans le secteur nordique de l’Europe.
L’économie finlandaise
Il est tout à fait exact que nous sommes dépendants de l’énergie importée, comme la plupart des pays du monde, mais la dépendance envers l’énergie soviétique est exagérée ; l’énergie peut être achetée en ce moment partout, par exemple en Norvège.
Nous sommes dépendants des exportations en général, parce qu’elles sont capitales pour l’économie finlandaise, représentant 32 % de notre PIB.
Conformément à l’accord commercial bilatéral avec l’URSS, les exportations et les importations entre les deux pays doivent être à peu près égales. Donc pour vendre nos produits à l’URSS, il faut que nous achetions des produits soviétiques. L’énergie est, bien sûr, un des produits dont nous avons besoin.
Le Comecon représente aujourd’hui 26 % de la totalité de nos importations. Respectivement, la part du Marché commun est 36 %, et le pourcentage de l’OCDE est 66 %. Mais personne n’évoque notre dépendance vis-à-vis de l’Ouest !
Malgré toutes ces « dépendances », notre économie marche bien. Après avoir payé nos indemnités de guerre à l’URSS, après avoir reconstruit notre Laponie systématiquement détruite et après avoir réinstallé 400 000 compatriotes de notre Carélie perdue, nous avons quand même atteint un niveau de vie plus élevé que par exemple celui de la France ou de la Grande-Bretagne, les vainqueurs de la guerre. Et tout cela sans plan Marshall et sans autre aide extérieure !
La capacité de défense
C’est vrai que le Traité de Paris de 1947 a fixé certaines limites. Mais aussi bien la Charte des Nations unies que le traité d’ACA justifient, et même imposent, l’utilisation de tous les moyens dont nous disposons pour notre défense. Pour cela, nos forces armées peuvent, en temps de crise, mobiliser 700 000 hommes environ. Rappelons que pendant la dernière guerre, les effectifs étaient de plus de 600 000 hommes.
Actuellement le pourcentage de PIB consacré à notre défense est seulement de 1,7 % environ. Mais il serait beaucoup plus élevé, si l’on comptait : le corps des gardes-frontières qui est placé sous les ordres du ministère de l’Intérieur, mais organisé militairement et comprenant des éléments, terre, mer et air ; la protection civile qui a fourni, entre autres, des abris à 2,7 millions de Finlandais ; la défense nationale économique, qui a pour mission d’acquérir de grandes réserves pour les articles importés et les matières premières stratégiquement nécessaires ; la police nationale, qui sont en dehors de notre budget de défense.
De plus, je ferai une petite comparaison « nordique » : si nos appelés et réservistes recevaient une indemnité journalière aussi grande que dans un autre pays nordique, notre budget militaire serait de 20 % plus élevé, sans augmentation réelle de notre capacité de défense.
De toute façon, nos ressources financières sont assez réduites, exactement comme en 1939. À cette époque, également, notre capacité de défense était considérée comme assez « théorique » partout en dehors de notre pays ! et dans ce domaine, ce sont quand même les résultats obtenus — pas les pourcentages — qui comptent !
Voilà des opinions finlandaises. J’espère que vous comprenez mieux maintenant pourquoi les insinuations que j’ai évoquées au début de mon intervention ne sont pas acceptées en Finlande. Ces opinions ne sont pas uniquement les miennes. Elles sont partagées par la grande majorité des Finlandais, par les jeunes, par les anciens qui, après avoir combattu pour notre indépendance et notre neutralité, ont créé notre bien-être actuel.