Au moment où va s'ouvrir la Xe exposition navale, il nous a semblé judicieux de publier un article sur l'évolution technique des moyens de la Marine nationale. L'auteur, adjoint au sous-chef d'état-major de la division « matériel » de l'État-major de la Marine (EMM), spécialiste en particulier de la lutte anti-sous-marine, et dont l'intervention lors du colloque « Science et Défense » à l'École polytechnique avait été très appréciée. Ce texte constitue en outre un complément heureux aux articles de l'amiral Leenhardt et du vice-amiral Bonavita parus dans nos livraisons de juillet et août-septembre 1986.
Évolution des moyens de la Marine : raisons et conséquences
Avant d’aborder les critères qui président au choix des moyens maritimes, il est nécessaire — encore que banal — de rappeler l’importance de la durée dans laquelle s’inscrivent ces choix. La gestation d’un équipement majeur demande quelque dix ans pour une durée de vie opérationnelle d’environ quinze ans ; ces équipements eux-mêmes arment des bâtiments définis et construits dans la même durée pour une longévité de trente à quarante ans, au cours de laquelle ils porteront ainsi deux à trois générations successives d’équipements de même finalité militaire. Si l’on ne fait jamais rien contre le temps, cette nécessité est encore plus évidente dans la construction et l’équipement navals. Les choix à opérer sont donc délicats, pour ne pas dire hasardeux. Il ne faut pas être entraîné dans un processus de perpétuelle remise en cause n’aboutissant qu’à la production de prototypes toujours recommencés ; il faut cependant aboutir à la fabrication de matériels efficaces face aux menaces réelles auxquelles ils auront à se mesurer lorsqu’ils entreront effectivement en service. La double prospective des menaces et des technologies convenables à échéance d’au moins une décennie pose un défi redoutable aux états-majors et aux services techniques des marines de tous les temps.
Ce défi est accentué à l’époque actuelle, caractérisée précisément par une innovation accélérée dans l’ordre scientifique et technique ; au point qu’il est aisé de souligner le rôle des évolutions techniques sur les évolutions des tactiques et des stratégies. On peut même assurer que « la technique joue un rôle autonome comme facteur de crédibilité industrielle et scientifique dans les rapports de force » (1). Ce qui revient à donner un poids décisif à l’« école du matériel » que l’amiral Castex associait à l’« école historique » et à la « géographie » dans les enseignements à retenir pour définir les stratégies nationales.
L’école du matériel prend une particulière importance dans la génétique navale parce que « la mer est un milieu qui tend à accroître les inégalités entre les moyens d’action des États » (2). Tout comme dans l’espace, les possibilités d’actions des puissances qui s’en donnent les capacités sont multipliées en milieu océanique au détriment des moyens que peuvent aligner les États qui n’accordent pas de place suffisante aux stratégies navales.
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