Réflexions à propos d'un anniversaire
21 octobre 1805. Il y a 181 ans, Nelson était tué à bord du Victory, son navire amiral, devant Trafalgar, au moment où il avait la quasi-certitude d’écraser la flotte franco-espagnole placée sous le commandement de Villeneuve, qui se suicida quelques mois plus tard.
5 septembre 1781. De Grasse, qui depuis le début d’août voyait la chance servir ses décisions difficiles mais géniales, engageait, sur la Ville de Paris, devant l’entrée de la baie de Chesapeake, la flotte britannique, commandée par Graves, et venue pour délivrer les troupes de Cornwallis prises au piège de Yorktown par les forces franco-américaines de La Fayette. Dominé et malmené, Graves, quatre jours plus tard, renonçait et se retirait vers New York.
En France et en Grande-Bretagne nul n’ignore Trafalgar, alors que peu de gens ont entendu parler de la bataille de la Chesapeake. Pourquoi ce rapprochement entre une victoire éclatante et célèbre et ce qui semble être seulement un fait d’armes, estimable certes, mais au retentissement médiocre ? Parce que les apparences sont trompeuses, si trompeuses que même Winston Churchill fut abusé, qui dans son Histoire des peuples anglophones a oublié de citer la défaite de Graves, alors que celle de Villeneuve n’est évidemment pas passée sous silence.
Trafalgar, la Chesapeake : conséquences stratégiques
Quand survînt Trafalgar, depuis un mois déjà la Grande Armée avait quitté Boulogne vers Ulm et Austerlitz, mais la confiance de l’Empereur dans la capacité de sa marine était sapée ; l’espoir d’envahir un jour la Grande-Bretagne s’était évanoui ; la flotte anglaise était libre sur les mers.
Par contre, le 5 septembre 1781, le sort de Yorktown était scellé ! et avec lui, celui des États-Unis d’Amérique. Un historien britannique, Geoffrey Caliender reconnaît que « ce fut la bataille de la Chesapeake qui décida l’issue finale de la guerre, couronna l’œuvre de Washington, et réduisit en cendres notre ambition grandiose de conserver l’Amérique du Nord sous l’obédience de la couronne ».
Je ne sais si Trafalgar conduisit à Waterloo, mais nos amis Américains savent que la Chesapeake les sauva et permit la création des États-Unis. Ils ne s’y sont pas trompés, eux qui ont donné le nom de Comte De Grasse à une frégate de leur marine. En France, s’il y a aussi une frégate De Grasse, il n’y a jamais eu de bâtiment de guerre baptisé La Chesapeake, alors qu’un sous-marin nucléaire britannique s’appelle Trafalgar.
Avec le recul du temps, en 1986, je laisse aux lecteurs le soin de décider quelle victoire fut plus décisive que l’autre, l’« aurore » de la Chesapeake ou le « coup » de Trafalgar ? ♦