Directrice de recherches au CNRS et spécialiste des questions américaines, l'auteure nous apporte des précisions sur l'immigration aux États-Unis, et en déduit les conséquences possibles sur la politique étrangère de cette Nation en proie à des courants de pensée – et d'action – susceptibles de préoccuper gravement les Européens, en particulier dans le domaine de leur défense.
Minorités et consensus national : l'exemple des États-Unis
Depuis leurs origines, les États-Unis sont terre d’immigration. Au XIXe siècle, un flot croissant de nouveaux arrivants a permis de mettre en valeur le territoire américain, encore vierge sur de larges étendues. À l’heure actuelle, ce flot fournit encore un réservoir quasi inépuisable de main-d’œuvre, qui peut compenser le déclin de la natalité américaine. L’apport n’est pas seulement quantitatif : les immigrants venus d’Europe ou d’Asie ont enrichi le Nouveau Monde d’une grande variété de talents ou de techniques nouvelles. Le fameux brain drain — la fuite de chercheurs, d’universitaires ou de médecins, sous-payés ou sous-employés dans leurs pays d’origine — a renforcé de manière non négligeable la vitalité des universités et centres de recherches américains, et leur a valu de nombreux prix Nobel.
Mais l’immigration n’a pas seulement contribué au fantastique essor économique des États-Unis ; elle est aussi un élément constitutif de la nation américaine ; elle est le symbole de son originalité, de son caractère « exceptionnel ». Car la nation américaine, à la différence de ses homologues sur le reste de la planète, ne s’est pas fondée sur une ethnie particulière, une religion ou la lente sédimentation de multiples apports historiques. Elle s’est fondée d’un seul coup au XVIIIe siècle sur des principes universels : la liberté, l’égalité devant la loi. En répudiant la féodalité, les États-Unis signifiaient qu’ils voulaient offrir à tous des chances égales : quelle que soit sa naissance, sa race ou sa foi, chacun pourrait atteindre la réussite pour peu qu’il fasse montre de son travail ou de son talent. Tel est le credo qui a attiré des millions d’étrangers vers le Nouveau Monde. Tel est le message que, des décennies durant, la statue de la liberté, brandissant sa torche d’un bras majestueux, a délivré aux immigrants qui débarquaient à New York. Ainsi les États-Unis sont-ils devenus un grand creuset où se fondaient toutes les races pour forger le peuple américain.
Cependant en 1986, à quelques mois de distance, l’Amérique a célébré en fanfare le centenaire de la statue de la liberté et promulgué une loi visant à restreindre l’immigration illégale (1). La discordance entre la santé des mythes fondateurs de la nation d’une part et d’autre part les réticences croissantes à rencontre des Latino-Américains qui traversent clandestinement la frontière, conduit à s’interroger : si les États-Unis se veulent toujours terre de la liberté, ils ne sont manifestement plus prêts à accueillir tous ceux qui la choisissent. L’immigration ne serait-elle plus aussi bénéfique que par le passé ? Dans le cadre des pages qui vont suivre, il n’est certes pas possible d’envisager tous les aspects de cette question (2). Aussi nous bornerons-nous, après avoir rappelé les raisons qui ont motivé l’adoption d’une nouvelle législation, de tenter de cerner dans quelle direction le poids croissant des minorités ethniques peut orienter la politique américaine dans les prochaines années.
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