Le Japon appelle en permanence notre attention. L'auteur a étudié l'évolution des forces d'autodéfense japonaises et en particulier le resserrement de leurs liens avec l'Empereur. Certains voient dans ces changements d'attitudes, accompagnés en outre d'une augmentation du budget de la défense, les signes annonciateurs d'une remilitarisation du Japon, préoccupation qu'avait déjà soulignée Hiroko Yamane dans un article publié en octobre 1985.
Les Forces d'autodéfense japonaises, embryon d'une nouvelle armée impériale ?
La remilitarisation du Japon continue d’alimenter, à l’intérieur comme à l’extérieur, les discussions entre partisans et adversaires d’une politique de défense plus active, et la décision du cabinet Nakasone de crever le plafond de 1 % du PNB pour les dépenses militaires n’est sans doute pas de nature à les tarir. Le Japon, de puissance pacifique, aurait-il désormais l’ambition de devenir une puissance du Pacifique à part entière ? Le triomphalisme économique ambiant ne risque-t-il pas à terme de déboucher sur un impérialisme militaire, au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux dirigeants libérés des complexes de leurs aînés ? Telles sont quelques-unes des interrogations déjà anciennes, mais auxquelles l’évolution de la politique gouvernementale nippone au cours de ces derniers mois donne un regain d’actualité.
Les forces d’autodéfense ont fêté en juin 1984 le trentième anniversaire de leur fondation. En dépit de leurs faiblesses, l’effort consenti, en particulier depuis le début des années 80, permet de les faire figurer au nombre des dix armées les plus fortes du monde. En avril 1986, le cabinet Nakasone a célébré le soixantième anniversaire du règne de l’empereur Hiro Hito : la plus vieille monarchie du monde pour l’un des règnes les plus longs. En apparence, il n’y a guère de relation entre ces deux événements. Et pourtant, elle existe : les forces d’autodéfense et le statut du trône sont les deux points névralgiques du système constitutionnel de 1947 ; M. Nakasone fait partie de ces dirigeants conservateurs pour lesquels la défense du pays et la protection du trône sont les deux exigences fondamentales du patriotisme nippon ; la tradition, restaurée en 1868, proclamait les liens privilégiés entre l’appareil militaire et l’institution impériale. Dès lors que le Japon choisissait de s’engager dans la voie d’une remilitarisation, certes limitée, mais néanmoins indiscutable, n’allait-on pas voir se tisser, entre « le symbole de l’État et de l’unité du peuple » selon la Constitution et les forces d’autodéfense des liens subtils, voire ambigus ? L’examen du legs de l’ancien régime, du statut juridique des forces d’autodéfense et du resserrement progressif des rapports entre l’empereur et ces dernières doit permettre de mesurer l’enjeu encore largement méconnu d’une évolution dont les incidences sur le fonctionnement même des institutions politiques nippones ne sont pas à négliger.
Le legs de l’ancien régime
Sous la monarchie absolue, les armées japonaises étaient officiellement qualifiées d’armées impériales, Teikoku Rikukaigun. Les liens avec l’empereur étaient d’abord institutionnels : le monarque — Tennô — était le commandant en chef des armées, et les organes du haut commandement — les chefs d’état-major des deux armées notamment — étaient directement placés sous son autorité, dans le cadre du système dit de l’indépendance du commandement suprême dérivé de l’article 11 de la Constitution de Meiji, qui les autorisait à user d’un droit direct d’accès au trône, sans passer par le cabinet, pour toutes les matières et décisions relatives au commandement suprême des forces armées. Ces liens étaient également idéologiques, puisque l’admonition impériale aux soldats de 1882 rappelait avec force la position du Tennô à la tête des armées ainsi que les principaux devoirs du soldat : loyauté, courtoisie, courage, fidélité et frugalité. Cette admonition, présente dans toutes les casernes de l’empire, fut lue et commentée lors des grandes fêtes nationales devant des générations de conscrits et fut la base de la formation psychologique et morale du soldat nippon jusqu’à la fin de la guerre du Pacifique. Liens personnels enfin, puisque d’une part, il était d’usage que les princes impériaux fassent une carrière militaire et que d’autre part, il est arrivé à plusieurs reprises que des membres de la famille impériale accédassent aux fonctions de chefs des états-majors de l’armée et de la marine.
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