Il y a 20 ans disparaissait le général Ailleret. L'auteur, agrégé d'histoire et cofondateur du Cercle des enseignants pour la géostratégie et la défense, a voulu montrer l'action déterminante de cet officier dans la constitution de la force nucléaire stratégique française et l'élaboration de notre doctrine de dissuasion.
Charles Ailleret, pionnier et pédagogue de l'arme nucléaire française
Le 9 mars 1968, dans un accident d’avion, le général Charles Ailleret trouvait la mort. Chef d’état-major des armées depuis 1962, il était déjà connu du grand public depuis le succès de « Gerboise bleue », autrement dit l’explosion de la première arme nucléaire française sur le site de Tanezrouft-erg Chech (Reggane), saluée le 13 février 1960 d’un « Hourra pour la France » resté célèbre. Pourtant ce n’est point cet homme-là, au fait de la carrière et des honneurs, que nous voulons évoquer mais le colonel Ailleret qui, dix ans durant, fut l’infatigable pionnier de « l’aventure atomique française », expression qu’il choisit pour titre de son livre de souvenirs, rédigé peu avant sa mort. Vingt ans plus tard, l’histoire se doit de rendre hommage à la mémoire de celui qui, en dépit des sarcasmes et des rebuffades, ne ménagea rien afin d’exposer et d’imposer cette simple et nécessaire vérité : la France devait se doter de l’arme nucléaire, unique garante d’une véritable sécurité et d’une authentique indépendance nationales.
Croisade, sans doute. Son point de départ ? Comme il est fréquent, une rencontre : entre un polytechnicien et une arme, hors mesure, la bombe atomique. Car le colonel Ailleret est polytechnicien au sens étymologique et historique du terme : en lui se combinent la rigueur impérieuse de l’esprit scientifique, donc critique, et la passion pour le passage au concret, l’application technique. En 1947, sollicité par les Presses Universitaires de France, il donne, en collection « Que sais-je », une petite « Histoire de l’armement ». Il y distinguait, complémentaire des manœuvres stratégiques et industrielles, « la manœuvre des études et des recherches » qui « consiste à réaliser des armes nouvelles qui surclassent celles de l’adversaire au point de créer aux dépens de celui-ci un déséquilibre fatal ». Mais, à cette époque, l’arme atomique n’apparaît encore qu’à l’horizon. Le dernier chapitre comporte quelques indications programmatiques : « Engin d’un type entièrement nouveau, la bombe nucléaire produit des effets infiniment plus étendus et plus totaux que les projectiles classiques… ; produisant d’un seul coup des effets immenses sur des surfaces étendues, de quelques kilomètres carrés, un tir de quelques bombes doit suffire à annihiler totalement les résistances ennemies qui peuvent exister dans des zones considérables… ; la bombe atomique est susceptible de renouveler non seulement l’armement, mais encore la tactique et, par là même, la stratégie ».
La rencontre décisive intervient à la fin de 1950. Le colonel Ailleret, qui occupe alors le poste de sous-directeur de la section technique des armées, est « embauché » (sic) comme conférencier à l’École de guerre où l’on recherche alors vainement une « compétence » pour évoquer — brièvement — l’arme nouvelle. Sous le titre « Possibilités de la guerre atomique », cette étude doit être tenue pour le point de départ de ce que nous conviendrons d’appeler la « pédagogie Ailleret » (1).
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