L’auteur appelle notre attention sur l’importance, à tous points de vue, du Maghreb dans cette région méditerranéenne dont celui-ci occupe la face Sud, et ce au moment où précisément l’« union du Maghreb arabe » semble prendre réellement forme. Il insiste sur le caractère indispensable d’une alliance militaire solide pour forger cette entité et lui permettre de se faire entendre.
Le Maghreb sur l'échiquier méditerranéen
La Méditerranée, berceau de tant de civilisations ayant marqué l’histoire de l’humanité, a toujours été un objet de convoitise et, partant, une zone de turbulences et de conflits militaires. Pourtant, et jusqu’à l’avènement de l’ère nucléaire, cette mer a souvent été perçue comme un espace clos, « mare clausum », subdivisé en régions ou bassins. C’est ainsi qu’on a toujours considéré le goulet sicilo-tunisien (1) comme une sorte de frontière naturelle scindant cette mer millénaire en un bassin occidental, aujourd’hui dominé par la confrontation des intérêts Nord-Sud, et un bassin oriental véritable pouls des relations Est-Ouest. À cette coupure transversale se superpose une ligne longitudinale mettant face à face la sphère d’influence chrétienne au monde musulman. Cette propension à être considérée comme une mer aisément contrôlable, notamment sur le plan militaire grâce à l’étroitesse de ses portes d’accès (Gibraltar, Détroits turcs, canal de Suez) jalousement gardées, favorisera l’occultation du « sujet » méditerranéen par une tendance marquée à la globalisation croissante des problèmes sous l’impact d’une réflexion stratégique totale (2).
Cette option, qui a pour effet de minimiser l’importance stratégique de la Méditerranée et qui s’inspire du scénario de l’apocalypse nucléaire générale ou régionale, n’a jamais été prise en considération par les forces du Pacte de Varsovie. Celles-ci ont profité du désintérêt américain pour le bassin méditerranéen afin de renforcer leur flotte en multipliant leurs unités navales dans la région et en créant un déséquilibre des forces en leur faveur (3). La suppression en mars 1976 des facilités portuaires accordées aux Soviétiques par le président Sadate devait néanmoins atténuer cette situation défavorable aux États-Unis. Ces derniers ont repris peu à peu l’initiative diplomatique, consacrée, et de façon spectaculaire, par les accords de Camp David (4), mais également par le retour de la Grèce à l’OTAN en 1980 et par la reprise des ventes d’armes à la Turquie. L’Amérique va ainsi contrôler, par alliés interposés (Espagne, Italie, Turquie, Égypte, Maroc), toutes les portes d’accès à la Méditerranée. La décennie quatre-vingt verra, de surcroît, l’Administration Reagan consentir un important effort au profit de ses forces navales en Méditerranée par, d’une part la passation de commandes industrielles importantes visant à atteindre les 600 unités, et d’autre part en usant d’une diplomatie navale plus intense à partir de 1981, que ce soit au large du Liban ou dans le golfe de Syrte (5).
Qu’elles proviennent d’une source soviétique ou américaine, les statistiques montrent à l’évidence qu’en Méditerranée, la concentration de navires au kilomètre carré bat un record mondial, ce qui signifie que cette mer garde une importance stratégique de premier ordre non seulement pour les deux superpuissances mais également pour les autres « grands ». En effet, et à titre d’exemple, lors de l’exercice Dawn Patrol qui a engagé, en 1979, 85 unités appartenant à huit pays, les forces navales américaines ne représentaient que le tiers du total. Des puissances méditerranéennes (Espagne, France, Italie) secondent, sinon se substituent aux États-Unis (6). L’émergence de puissances riveraines, si elle n’est pas l’objet du hasard est, de toute manière, spécifique au bassin occidental. Ce genre de situation n’est, en effet, pas imaginable dans le bassin oriental, car l’équilibre des forces militaires (Turquie, Grèce, Syrie, Égypte) constitue un gage de sécurité et fait l’objet d’un modus vivendi entre l’URSS et les États-Unis. Tout autre est la situation dans le bassin occidental où l’apparente défaillance des pays du Sud, en l’occurrence le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye) favorise à, n’en pas douter, les puissances européennes citées et ne prélude pas, a priori, à un danger pour la paix en Méditerranée.
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