Allocution du Chef d'état-major de l'Armée de l'air devant les auditeurs de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) prononcée en décembre 1989.
Stratégie aérienne et Armée de l'air
L’organisation actuelle des armées fait que leur emploi relève de l’état-major des armées, tandis que la mise en condition opérationnelle de chacune d’entre elles relève de son propre état-major.
Dès lors les présentations usuelles de l’armée de l’an sont centrées exclusivement sur son organisation et ses moyens mais ceux-ci n’ont de sens qu’affectés à une stratégie.
C’est pourquoi, sortant des canevas habituels, il paraît nécessaire de présenter tout d’abord la stratégie aérienne dont la conception générale, il faut le dire, reste invariante dans le concept de non-emploi (dissuasion nucléaire) comme dans celui d’emploi (engagement de moyens conventionnels). Aujourd’hui où tout bouge en Europe, les principes de cette stratégie conservent plus que jamais toute leur valeur. Tel sera donc le schéma de la présentation ci-dessous qui veut répondre successivement à trois questions : qu’est-ce que la stratégie aérienne ? Quelles règles d’emploi pour l’armée de l’air dans cette stratégie ? Quels moyens y sont consacrés ?
Stratégie aérienne
La surface du globe terrestre est constituée soit de continents soit d’océans. La conduite des opérations terrestres ou maritimes est liée à cette évidence. Ainsi deux stratégies sont bien connues : terrestre liée aux continents, maritime liée aux océans.
Il ne faut pas nier, bien évidemment, le fait que ces deux stratégies ont pris en compte, depuis la naissance de l’aviation, la troisième dimension. Mais cela s’est fait essentiellement en la liant à leur positionnement, c’est-à-dire aux zones d’engagement que les Soviétiques appellent zones opératives.
Ainsi, pour l’armée de terre il s’agit de la conduite d’opérations aéroterrestres limitées à ses propres forces et à celles de l’ennemi pouvant la concerner directement, c’est-à-dire sur une profondeur de 100 à 200 kilomètres. De même pour une force navale à la mer, à l’exception des raids aériens offensifs, elle ne se sent directement concernée, dans l’engagement de ses moyens, que par ce qui se passe dans un rayon de 300 à 400 kilomètres autour d’elle.
Or que représentent 300 kilomètres à l’échelle du globe ? Les zones opératives ne sont donc que des surfaces limitées et dont les vitesses de déplacement sont par nature également faibles.
Certes les commandants de force, préoccupés par la conduite immédiate des opérations, réclament la possession de l’espace aérien au-dessus de leurs têtes. Mais il s’agit là de préoccupations tactiques ou de conduite opérative ne découlant en aucune manière d’une vision stratégique globale. C’est en effet oublier qu’il existe un vide stratégique dans lequel peuvent s’engouffrer les stratégies aérospatiales et en particulier celle des Soviétiques : possédant deux fois plus d’avions et quatre fois plus de satellites que les Occidentaux, ils pourraient contourner systématiquement les zones opératives, qu’ils ne négligeraient pas pour autant grâce à leur importante aviation tactique.
En effet, telle est la caractéristique des armes aériennes : pouvoir contourner les défenses dans le plan vertical, par le haut, et dans le plan horizontal, par les côtés. La vitesse de déplacement et le rayon d’action des avions leur permettent de frapper où il faut et quand il faut en fonction des objectifs définis par la stratégie générale.
Face à celles des autres nations, une stratégie aérienne, voire un jour aérospatiale, est donc une nécessité absolue pour notre pays dans la mesure, et c’est le cas, où il veut rester maître de ses décisions. Cette stratégie, qui conduit à des opérations autonomes à l’échelle du continent, et même du globe, impose l’unicité de la stratégie d’emploi dans la conduite de la bataille aérienne : pouvoir se concentrer là où il faut, et par là même l’autonomie de l’armée de l’air.
Il faut du reste rappeler que par malheur, en 1938, les préoccupations tactiques ont prévalu sur la stratégie. Ainsi les unités aériennes ont été réparties au sein des grandes unités terrestres, dans des structures calquées sur celles de l’armée de terre. C’est pour cette raison qu’en 1940 nos grands anciens n’ont pas vu dans le ciel les avions français au moment où ils en avaient besoin. Et cela bien que nos aviateurs se soient battus comme des lions : sans stratégie, avec une conduite des opérations mauvaise et des matériels périmés, ils ont détruit le quart de l’aviation allemande.
L’armée de l’air est l’outil stratégique par excellence, celui dont l’emploi conditionne l’issue de la bataille, si ce n’est celle de la guerre. Il ne semble pas inutile de rappeler à cette occasion certains faits historiques récents : la bataille de France de 1940 pour laquelle l’aviation était réduite à un rôle tactique et la bataille d’Angleterre qui l’a suivie, heureusement pour nous dans des conditions différentes — la RAF, et elle seule, a renversé le cours de la guerre — ; le pont aérien de Berlin, qui a fait reculer Staline ; l’attaque de Tripoli par les F 111 américains basés en Grande-Bretagne ; enfin tout dernièrement, la guerre entre l’Irak et l’Iran.
Ce conflit long de 8 ans mérite que l’on s’y arrête quelques instants. Dans une première phase, l’Irak qui possédait, contrairement à l’Iran, une armée de l’air en état de combattre, après s’être assuré la maîtrise du ciel, a utilisé son aviation à proximité immédiate du front et en appui direct des forces terrestres. Cette conception archaïque des armes aériennes, simple prolongement de l’artillerie, même si elle n’a pas été inutile, n’a pas permis à l’Irak de vaincre les troupes nombreuses et fanatisées iraniennes. Dans une deuxième phase, soit à partir de 1985, l’Irak a décidé d’étendre et de systématiser les raids aériens sur toute l’étendue du territoire iranien. De ce jour, aucune ville, aucun terminal pétrolier, aucun centre industriel ne fut à l’abri de la guerre. L’impact psychologique, les pertes humaines et matérielles, les problèmes financiers qui en résultèrent, vont conduire l’Iran à accepter le cessez-le-feu en juillet 1988. Ce succès est la victoire d’une stratégie aérienne conçue comme une stratégie autonome, indépendante des stratégies opératives navales et terrestres.
Les armes aériennes jouent donc un rôle déterminant dans tous les conflits. Ce serait également le cas en temps de guerre en Europe, en particulier pour la France en raison de sa position propre. Avant d’étendre cette stratégie aux différentes hypothèses aujourd’hui envisageables, il paraît en effet utile, didactiquement, d’examiner en premier lieu le schéma traditionnel de conflit Est-Ouest en Europe, même si aujourd’hui la tension entre les deux blocs a décru.
Dans un tel conflit, l’armée de l’air serait engagée dès les premiers instants, soit du fait de l’ennemi, soit parce qu’elle seule permet de matérialiser instantanément une décision nationale d’engagement aux côtés des Alliés. Nous sommes proches du rideau de fer, dix à vingt minutes de vol selon la vitesse utilisée, alors que notre armée de terre, pour des raisons politiques évidentes, n’occupe pas et ne peut pas occuper de créneaux dans le dispositif militaire intégré. Dès lors, c’est l’armée de l’air seule qui au plan national devra tenir plusieurs jours face à l’agresseur, et de sa résistance dépendent, comme en France en 1940, ou comme en Angleterre toujours en 1940, les conditions d’engagement ultérieur du corps de bataille terrestre.
Il ne s’agit avons besoin d’un corps de bataille blindé et mécanisé pour participer à l’arrêt de divisions blindées venues de l’Est ou simplement pour marquer notre solidarité occidentale. Mais il y a des vérités parfois occultées et par là même des priorités stratégiques qu’il est nécessaire de rappeler pour éviter de renouveler les erreurs du passé.
Quelle devrait être cette stratégie aérienne dans un conflit généralisé entre pays dotés de moyens modernes ? Quelles en sont les différentes phases ?
Dès le début des opérations il faudra avant tout empêcher ou limiter la liberté d’action aérienne de l’adversaire : les troupes au sol en cours de mobilisation seront vulnérables aux attaques adverses dans leurs cantonnements, puis dans leurs déplacements vers leurs zones de déploiement initial. Il en est de même pour la mise sur pied de la logistique. Cette première phase est une phase de combat avion contre avion. Il s’agit d’une bataille purement aérienne : en vol pour l’interception des avions ennemis ; au sol pour la destruction de leurs bases : pistes de décollage qu’il faut neutraliser, avions au sol, radars, hangars, dépôts de munitions et de carburant qu’il faut détruire.
Ensuite il s’agira, tout en poursuivant la bataille aérienne, de préparer l’engagement du corps blindé mécanisé par des actions aériennes d’interdiction dans la profondeur où l’arme aérienne est irremplaçable, quand les dispositifs sont trop lointains ou trop mobiles pour les seuls appuis terrestres dépendant de la 1re armée. Il conviendra ainsi de freiner l’arrivée des renforts adverses en cloisonnant le terrain et en détruisant les moyens de communication, et d’attaquer ceux de commandement, les dépôts, les concentrations de forces.
Mais la destruction des moyens adverses dans la profondeur passe plus qu’ailleurs par la qualité et la fraîcheur du renseignement que seuls peuvent aujourd’hui fournir les avions de reconnaissance ainsi que les satellites d’observation, dans la mesure où l’adversaire ne les aura pas neutralisés.
Enfin il s’agira de couvrir la zone d’engagement de la lre armée pour intercepter les avions d’assaut adverses, tout en maintenant notre pression sur les arrières de l’ennemi. Si c’est indispensable, nous interviendrons directement sur les moyens adverses en zone des contacts, mais seulement si c’est indispensable, car autant il est intéressant de traiter des concentrations de blindés groupés dans la profondeur, autant il est peu rentable de s’opposer à un déboulé de chars dans un contexte nécessairement confus et une situation terrestre difficile.
Il va de soi que pendant ces phases, l’aviation devra assurer non seulement la couverture du champ de bataille mais aussi celle de ses arrières, afin de priver l’adversaire de modes d’action identiques aux nôtres.
Ce scénario s’applique bien évidemment dans l’hypothèse souvent évoquée, depuis 1948, d’une conflagration de bloc à bloc en Europe. Mais il s’appliquerait tout aussi bien à tout autre conflit pouvant survenir d’un déséquilibre local ou général.
Tout d’abord, qui peut prédire aujourd’hui le succès de M. Gorbatchev, ou ce qui résulterait d’un échec de sa politique ? Dans une période aussi indécise et dans l’impossibilité de prévoir l’évolution intérieure de l’Union Soviétique, il est de notre devoir de préserver toutes nos capacités et en particulier celles permettant de conduire une stratégie aérienne. Ainsi serions-nous en mesure de toujours faire face à un conflit généralisé Est-Ouest, et grâce à cette capacité de maintenir la paix par le concept de la dissuasion globale.
Le monde évolue, mais souvenons-nous qu’à Munich, la France avait cru gagner la paix. Ne baissons donc pas notre garde, simplement sur de bonnes paroles : les arsenaux du Pacte de Varsovie sont toujours là, même si les conditions politiques intérieures à chaque pays ont évolué.
Mais du maelström qui secoue l’Europe, d’autres équilibres peuvent surgir avec, en particulier, l’affaiblissement, voire à long terme la disparition des alliances dans leurs structures actuelles. Une nouvelle balkanisation d’une partie de l’Europe pourrait même survenir avec des rapprochements entre pays de forces complémentaires. Pour faire face aux crises possibles, la stratégie aérienne prendrait alors une dimension supplémentaire. C’est en
effet la seule capable d’agir fort, loin et vite, comme la seule susceptible de venir en aide à tel pays menacé en évitant tel autre qui aurait affiché sa neutralité.
La Méditerranée peut également devenir une zone très agitée. Certes elle est bordée de pays aujourd’hui amis, dont certains de très longue date, mais la poussée démographique dans la plupart d’entre eux ne peut que poser de réels problèmes à terme, donc engendrer des tensions. Le rôle des armées est de pouvoir faire face au pire, pas seulement au vraisemblable. Rappelons-nous simplement que le Maroc, l’Algérie et la Tunisie constitueront un ensemble de plus de 100 millions d’habitants en l’an 2020, qui regarderont peut-être avec envie notre niveau de vie.
Déjà aujourd’hui la Libye totalise plus de 700 avions de combat. En outre, ce pays est en train de s’équiper de Sukhoï 24, avion soviétique au moins équivalent au F 111 utilisé par les Américains pour attaquer Tripoli depuis l’Angleterre.
Dans cette partie du monde aussi, le rôle de l’armée de l’air sera primordial. Elle seule peut agir à la fois rapidement et efficacement en défense, puis en riposte à partir de notre territoire et atteindre en quelques heures n’importe quel objectif majeur sur le pourtour de la Méditerranée.
D’ailleurs, pour ce faire, nous disposons de terrains situés au milieu de la mer, exceptionnels et facilement défendables : en Corse. Nous disposerons aussi prochainement d’appareils capables de détecter et de contrôler l’ensemble de nos approches maritimes, les Awacs, mais également d’avions de combat dont le rayon d’action sera de beaucoup supérieur à celui de nos Mirage 2000, même supérieur à celui de nos Mirage IV : les Rafale (grâce à leur faible consommation en croisière).
En étroite coopération avec notre marine, lorsqu’elle sera à la mer, mais aussi avec les armées de l’air espagnole et italienne qui disposent de plates-formes extrêmement bien situées aux Baléares et en Sicile, nous pourrons éviter toute tension dangereuse, et donc conserver toutes nos amitiés dans la région, voire arrêter les crises dès leur début en intervenant chaque fois que nécessaire On peut résumer ces propos sur la stratégie aérienne en s’inspirant d’un texte écrit en 1967 par un ancien chef d’état-major des armées, le général Ailleret. Ses réflexions paraissent aujourd’hui d’une grande actualité.
« Depuis longtemps, nous avons en France pris l’habitude d’avoir un ennemi préférentiel et même parfois tellement préférentiel qu’il en devenait, en fait, unique (…). Faire l’effort de se constituer, avec (nos) moyens propres, un système de défense qui ne soit dirigé contre personne, mais mondial et tous azimuts, (…), qui, au cours des crises qui peuvent dans l’avenir ébranler le monde, mettrait la France en mesure de déterminer librement son destin ».
L’armée de l’air, aujourd’hui plus que jamais, est l’instrument adapté à ce concept. Mais pour être efficace, ses armes doivent être utilisées suivant des règles bien précises.
Les caractéristiques des armes aériennes
Les règles d’emploi des armes aériennes peuvent se résumer ainsi : « Frapper vite, fort, loin avec des dispositifs appropriés ».
Frapper vite, c’est la rapidité de réaction. Frapper fort, c’est la puissance de feu instantanée. Frapper loin, c’est la capacité de projection.
Frapper avec des dispositifs appropriés, c’est la grande souplesse d’emploi des armes aériennes.
Rapidité de réaction : frapper vite
L’avion va vite, il s’agit là d’une évidence. Mais il ne sert à rien d’aller vite, si on met beaucoup de temps pour partir. L’armée de l’air est ainsi organisée pour réagir rapidement. Cela impose, il est vrai, de nombreuses servitudes en temps de paix : 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365, les radars tournent, des contrôleurs scrutent leurs écrans, des équipages, pilotes et mécaniciens, sont en alerte à proximité de leurs avions, qu’ils soient de chasse ou de transport.
À titre d’entraînement, l’armée de l’air procède régulièrement à des montées en puissance inopinées. Les résultats sont excellents. Ainsi, à titre d’exemple, et pour un cas réel, alors qu’aucun préavis n’avait été donné, à la suite d’un survol de Kourou peu avant un tir d’Ariane, le gouvernement a décidé de mettre en place des batteries d’artillerie sol-air en Guyane. Moins de 23 heures après la prise de décision, les premiers canons débarquaient à Cayenne. Il avait fallu dans l’intervalle désigner les personnels, conditionner matériels et munitions, mettre en place les avions de transport, charger et transporter le tout en 10 heures de vol.
Cela signifie des contraintes, mais donne des résultats cohérents avec les performances attendues des matériels, car, comme les Polonais en 1939 ou les Russes en 1941, nous serons d’autant plus facilement attaqués que nous ne serons pas en mesure de réagir. Cela est aussi cohérent avec la vitesse avec laquelle il faut aujourd’hui pouvoir arrêter les crises dès leur début.
Puissance de feu : frapper fort
Les armes aériennes, par la concentration des moyens, permettent de délivrer en un temps très court une grande quantité d’armement en un point précis ou sur une zone donnée : en un point précis grâce aux armes à guidage terminal, laser par exemple, ou sur un but aérien grâce à un missile équipé d’autodirecteur ; sur des surfaces importantes grâce à des armes dites à dispersion : elles peuvent être antichars, antipersonnels et pire encore de pourrissement de zone ; ainsi, avec une seule bombe, on peut faire exploser une grenade toutes les minutes pendant plus de deux heures sur une surface de plusieurs milliers de mètres carrés.
Par contre, distiller les moyens pour des actions de faible envergure n’a en général aucun effet militaire. L’aviation n’a de sens qu’employée massivement, concentrée dans le temps et dans l’espace.
Projection de force : frapper loin
Le débordement de l’ennemi par les ailes est une constante de l’art militaire. Les armes aériennes, avec l’allonge permise par le ravitaillement en vol en sont le moyen idéal : il devient possible de contourner les défenses et de le frapper là où il est vulnérable. Ainsi doit-on citer le raid israélien sur le siège de l’OLP à Tunis.
L’action aérienne est donc tous azimuts et, pour être efficace, doit s’exercer aussi loin de ses frontières que possible, que ce soit en défensif ou en riposte.
En outre, pour nous Français, projeter nos forces au loin est devenu une réalité de tous les jours. J’ai cité notre renforcement de la défense antiaérienne en Guyane. Je pourrais évoquer le survol de Beyrouth en 1984 par des Jaguar basés en métropole, ou l’attaque de la piste de Ouadi-Doum le 7 janvier 1987 avec l’emploi d’appareils dont les plus proches étaient basés à N’Djamena, soit à 1 000 kilomètres. Reporté sur une carte d’Europe, ce raid aurait consisté à attaquer Minsk en Russie à partir de Stockholm avec Brest et Venise en bases arrière. Cela montre que pour l’aviation, l’Europe est déjà un théâtre unique qui ne saurait être fractionné.
Ces actions conduites avec des moyens de combat ne doivent pas faire oublier les autres moyens d’action de l’armée de l’air avec : le soutien logistique amené par avion de transport à pied d’œuvre dans les meilleurs délais, et sans les contraintes de l’aviation civile, ou l’aide humanitaire, comme celle apportée par nos Transall au Soudan ou au Sénégal ; ainsi, en quinze jours, 20 000 Sénégalais ou Mauritaniens ont été ramenés de l’autre côté de la frontière.
Souplesse d’emploi : frapper avec des dispositifs appropriés
L’avantage de l’avion est aujourd’hui sa polyvalence : avec un seul investissement on remplit plusieurs missions ; ainsi le Rafale pourra tirer un missile nucléaire, appuyer l’armée de terre avec des armements classiques ou défendre le ciel de France.
Les armes aériennes permettent aussi au « stratège » de choisir son mode d’action grâce à un large éventail de possibilités : type d’armement, rayon d’action extensible avec le ravitaillement en vol, frappes chirurgicales comme à Tunis ou à Ouadi-Doum, ou engagement généralisé. Cela est permis par la polyvalence des personnels et des matériels. Là aussi, la diversité des modes d’action en fait un outil stratégique.
L’Armée de l’air
Stratégie aérienne et règles d’emploi étant définies, qu’est-ce que l’armée de l’air aujourd’hui, et de quoi dispose-t-elle ?
C’est une équipe d’environ 95 000 hommes en permanence sous les drapeaux, auxquels il faut bien sûr ajouter tous les réservistes pourvus d’un emploi en temps de guerre ou non, car ceux-ci font tous partie de la famille de l’armée de l’air.
Celle-ci est bien une équipe, car le pilote fait confiance à son mécanicien, l’équipier à son chef de patrouille, ce dernier au contrôleur derrière son écran radar. C’est une équipe où la compétence peut primer le grade : cela est parfois surprenant pour les personnels extérieurs à l’armée de l’air, mais logique dans une entreprise de très haute technologie. C’est aussi une équipe qui préfigure la société de demain, avec ses rapports de confiance entre les différents échelons hiérarchiques, mais aussi son niveau intellectuel : ainsi, par exemple, aujourd’hui plus de 70 % des sous-officiers qu’elle recrute sont bacheliers.
L’armée de l’air, ce sont aussi des moyens.
Pour la dissuasion nucléaire, elle met en œuvre 18 missiles sol-sol de 3 500 kilomètres de portée, installés dans des silos durcis et protégés dans la région d’Apt, ainsi que 18 bombardiers nucléaires Mirage IV basés sur 4 aérodromes du sud de la France, appareils qui, avec le ravitaillement en vol, ont 4 000 kilomètres de rayon d’action.
Ces deux composantes ont des caractéristiques très différentes de la troisième, les sous-marins lanceurs d’engins, ce qui en fait tout leur intérêt : les missiles à terre seraient les premiers à partir quelques minutes au plus après l’ordre de tir et ne mettraient qu’environ 10 minutes pour atteindre leurs cibles ; les Mirage IV sont les seuls dont la prise d’alerte généralisée au sol ou en vol peut être rendue visible à un observateur doté de satellites ; je rappellerai que c’est ainsi, lors de la guerre du Kippour, que le président Nixon a convaincu les Soviétiques de sa détermination ; missiles et avions à terre pourront toujours, quoi qu’il arrive, recevoir leur ordre d’engagement.
On peut ainsi dire que la meilleure protection des sous-marins réside dans les moyens basés à terre et vice-versa, nul ne pouvant prendre le risque d’attaquer un des éléments du dispositif sans prendre un risque inacceptable. Il s’agit donc d’un tout, et c’est la raison pour laquelle les vraies puissances nucléaires sont dotées de la triade sous-marins, avions et missiles basés à terre.
L’armée de l’air possède ensuite 450 avions de combat en ligne, c’est-à-dire des appareils susceptibles d’être engagés dans les heures qui viennent. Une partie de ces avions est affectée aux missions de défense aérienne, une autre aux missions d’attaque avec armement classique des moyens militaires ennemis, quelques-uns enfin doivent pouvoir délivrer l’ultime avertissement sur les moyens militaires de l’agresseur avec un missile nucléaire. Il s’agit bien sûr de l’ultime avertissement avant la frappe stratégique et en aucun cas d’une bataille nucléaire. En fonction de la situation, cette affectation peut être modifiée et les avions réaffectés d’une mission à une autre.
Ces 450 avions représentent une force significative, mais doit être comparée aux moyens occidentaux, 600 pour la RFA, 550 pour la Grande-Bretagne, mais aussi aux 8 000 avions du Pacte de Varsovie. Ainsi, la Tchécoslovaquie, avec 14 millions d’habitants, met en œuvre 400 avions à comparer avec nos 450. L’armée de l’air n’a donc rien de colossal bien au contraire, au regard de ce qu’il y a autour.
Ces 450 avions avec le ravitaillement en vol effectuent lorsqu’il en est besoin des missions outre-mer : une quinzaine d’entre eux sont ainsi actuellement au Tchad.
Enfin l’armée de l’air possède : 4 avions de transport à long rayon d’action, ce qui est très insuffisant, mais est partiellement comblé par la location d’avions commerciaux (il faut cependant savoir que ces derniers sont affrétés dans le cadre de la convention de Chicago sur l’OACI : les pilotes peuvent refuser de se poser sur des terrains non ouverts à la circulation aérienne générale ou d’effectuer certains transports dangereux tels carburants en vrac, etc.) ; 80 avions de transport tactiques, aptes aux parachutages et aux opérations à partir de terrains courts, voire en herbe.
En ce qui concerne le parc aérien, il faut ajouter tous les avions écoles nécessaires à la formation des équipages et quelques avions de liaison nécessaires au transport rapide des hautes autorités.
Tout cela ne doit pas faire oublier d’autres moyens, moins aériens, mais tout aussi nécessaires : les stations radars tout d’abord, pour scruter notre espace aérien et guider les avions militaires ; les moyens de transmissions ensuite. Pour l’armée de l’air, ce sont ses bases de la métropole qui constituent les zones de desserrement et de déploiement avancé. Pour la conduite de la bataille, il lui faut pouvoir manœuvrer son réseau, donc qui lui appartienne et soit dimensionné au regard des très nombreuses données de situation aérienne à transmettre.
Enfin, toutes les bases aériennes nécessaires à la mise en condition et à la remise en œuvre de nos moyens air : en métropole, ce sont 28 bases capables de recevoir et d’équiper tous les types d’appareil militaire, auxquelles il faut ajouter une dizaine d’entrepôts du matériel ou du commissariat ; outre-mer, ce sont 11 points d’appui permanents, situés pour certains d’entre eux sur un territoire ami, au Sénégal et à Djibouti par exemple.
Sans ces points d’appui, la crédibilité de notre stratégie d’action serait faible, voire dans certains cas nulle. Pour conduire des opérations à l’échelle de l’Europe ou de l’Afrique, et même du globe, de même que la marine a besoin de ports pour ses opérations régulières d’entretien, l’armée de l’air a besoin d’aéroports français ou amis.
Les stations radars, les sites de transmissions et les bases aériennes forment un tout, dont la cohérence et la juste complémentarité sont de la responsabilité du chef d’état-major.
Conclusion
L’art militaire est celui de l’emploi de la force. L’art du stratège est celui de savoir manœuvrer celle-ci. Or l’armée de l’air est par nature la force manœuvrante qui va vite et loin. Elle est donc, dans un monde de plus en plus incertain et de moins en moins prévisible, l’outil stratégique par excellence. ♦