On parle beaucoup d'Europe de la défense et des difficultés de tous ordres que ce concept révèle. Une initiative européenne se met en place depuis quelques mois dans un domaine dont la guerre du Golfe a depuis souligné l'importance : les hautes technologies à finalités de défense. Parfois baptisé « Eurêka militaire », Euclid prend en compte l'expérience des programmes européens civils de recherche, en particulier Eurêka et les programmes de la Communauté économique européenne (CEE). Il en diffère cependant significativement tant par ses finalités que par ses conditions de fonctionnement. Cet article a déjà publié dans la Revue du Marché commun (n° 346, avril 1991) et son auteur, ingénieur en chef de l'armement, est coordinateur national pour ce programme Euclid.
Le programme de recherche Euclid
Origine
Le Groupe européen indépendant de programmes (GEIP)
Euclid, « European Cooperation for the Long Term in Defence », est une initiative européenne de coopération en matière de recherche et de technologie intéressant la défense, qui ne pouvait être prise que dans un cadre européen compétent en matière de défense, domaine exclu des Communautés européennes par l’article 223 du traité de Rome. Pour les programmes de matériel et de technologies de défense, ce cadre est le Groupe européen indépendant de programmes, ou GEIP. Il s’agit d’une structure de concertation et de coopération entre les treize pays européens de l’Alliance atlantique : Belgique, Danemark, France, Allemagne, Grèce, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Espagne, Turquie, Royaume-Uni. Pour des raisons historiques, politiques et techniques dont l’exposé dépasserait le cadre de cet article, le GEIP n’a pas de statut juridique et n’a pas de structure centrale, à part un petit secrétariat à Lisbonne. En conséquence, toutes ses activités, ses commissions, groupes et sous-groupes sont chacun pris en charge par un des pays, qui en assure alors la présidence et le secrétariat.
Le GEIP a ainsi, depuis le 1er janvier 1991, une présidence belge qui organise les réunions des ministres de la Défense, des secrétaires d’État et des directeurs nationaux d’armement. Les activités se partagent principalement entre trois commissions. La commission I, de présidence norvégienne, s’occupe de l’harmonisation des besoins et du suivi des programmes de coopération. La commission III, de présidence allemande, traite des procédures et réglementations. Enfin la commission II, la plus récente, de présidence française, couvre les questions de recherche et de technologie. Euclid est la principale de ses activités. La commission II supervise aussi des projets de coopération technologique lancés avant Euclid, et une recherche de rationalisation de l’utilisation des installations d’essais.
Cette description sommaire du GEIP ne serait pas suffisante pour décrire Euclid si l’on n’ajoutait pas que l’industrie européenne s’est organisée pour se présenter en interlocuteur du GEIP. C’est « l’European Defence Industrial Group », Edig, qui s’appuie, comme le faisait déjà le Niag à l’Otan, sur des organisations professionnelles nationales. Les composantes françaises de l’Edig, par exemple, sont le Sper, le Gifas et le Gicat (1). L’Edig a un rôle très actif dans la mise en place d’Euclid.
Structure du GEIP
Vers une Europe plus forte
En 1984, les ministres de la Défense (2) des pays du GEIP ont demandé à un groupe de sages, présidé par M. Vredeling, ancien ministre néerlandais de la Défense, d’entreprendre une étude sur la situation européenne de l’industrie de défense et les voies d’amélioration. Leur rapport a été déposé en décembre 1986, sous le titre : « Vers une Europe plus forte ». Parmi les huit recommandations des sages, figurait la mise en place d’une coopération efficace en matière de recherche et technologie.
La mise en œuvre des recommandations du rapport a amené les ministres, à leur réunion de Luxembourg en novembre 1988, à créer la commission II et à lui confier la mise en place de la structure de coopération en recherche et technologie au sein de l’Europe du GEIP.
La décision d’Estoril
La commission II a exploré différentes possibilités de structure, de partage des tâches, des coûts et des responsabilités, et rédigé un premier ensemble de principes, suffisants pour décider les ministres réunis à Estoril à lancer Euclid en juin 1989.
Cette commission II et ses groupes de travail ont continué à se réunir à rythme élevé pour permettre aux ministres d’accepter en février 1990 à Gleneagles un ensemble cohérent de principes suffisants pour rédiger un accord-cadre qui, lui-même, a fait l’objet de négociations intenses pendant toute l’année et d’une étroite concertation avec l’industrie européenne. Il a été signé le 16 novembre 1990 par les ministres réunis à Copenhague.
Objet et objectifs d’Euclid
Meilleure utilisation des crédits militaires de recherche
Parmi les trois principaux objectifs d’Euclid, et sans les classer par ordre d’importance, citons d’abord le souci de mieux utiliser les crédits consacrés par les ministères de la Défense européens aux études amont, c’est-à-dire de recherche, de technologie et de développement exploratoire. Ce souci n’est pas nouveau. Depuis longtemps, des échanges d’informations sur les résultats des recherches avaient été organisés entre ministères alliés de la Défense. Plus récemment, des mécanismes de coordination de projets avec échanges de droits sur les résultats ont été mis en place, soit dans un cadre bilatéral, soit au sein du GEIP.
L’ambition d’Euclid est de franchir un pas et de faire directement exécuter en coopération les projets de recherche et de technologie. Pour commencer, les ministres ont fixé un objectif de flux annuel de 120 millions d’Écus pour des projets Euclid. Cela représente environ 5 % des crédits militaires d’études amont dans le GEIP. C’est donc un chiffre significatif, mais encore marginal. Si l’on reprend la recommandation du rapport des sages, ce montant pourrait croître jusqu’à 25 % de ces crédits.
Préparation de la coopération à un stade précompétitif
Depuis plus de trente ans de nombreux programmes de développement et de fabrications d’armements ont été conduits en coopération entre deux ou plusieurs pays européens : hélicoptères Gazelle, Lynx et Puma, avions Jaguar et Tornado, missiles Milan, Hot, chasseurs de mines par exemple. L’expérience de ces coopérations est très positive. On n’en regrette que plus les nombreuses occasions manquées : le développement parallèle des chars AMX 30 en France et Leopard en Allemagne a suivi l’échec d’un concours destiné à définir un projet unique franco-allemand. Plus récemment, des années de négociations n’ont pas permis d’éviter les développements concurrents des avions Rafale et EFA.
Une des raisons de ces échecs est que les ministères de la Défense avaient déjà fait exécuter séparément des études et des développements exploratoires, trop avancés pour pouvoir se mettre d’accord sur une harmonisation des caractéristiques des matériels demandés par les états-majors. Euclid voudrait permettre de coopérer dans les stades amont de la technologie et de la conception des matériels, alors que les intérêts en jeu ne sont pas encore vifs, et à un moment où l’éventail des réflexions d’état-major est encore étendu. Il devrait être alors plus facile d’harmoniser les concepts tactiques et techniques des matériels, si la base technologique et les développements exploratoires sont déjà partagés entre les pays.
Préparation du marché européen des matériels de défense
Une autre activité du GEIP est la préparation d’un marché européen des matériels de défense (« European Defence Equipment Market », Edem). Un document important sur le sujet a été préparé par la commission III du GEIP et approuvé par les ministres le 16 novembre 1990 à Copenhague. Aujourd’hui, les programmes de développement de matériels de défense et la base technologique correspondante sont concentrés dans un petit nombre de pays européens ; les autres ont l’habitude d’acheter des matériels sur étagère, soit en Europe, soit souvent hors Europe, contre des compensations en fabrication de série. Certains de ces pays ont déjà une bonne base technologique générale, d’autres pas.
L’ambition d’Euclid est d’aider à obtenir une base technologique de défense mieux répartie en Europe. Tous les pays pourront alors participer à la conception et au développement des matériels européens d’armement. Il ne s’agit pas d’obtenir que toutes les capacités existent dans tous les États. La technologie est aujourd’hui trop chère pour qu’un des pays européens puisse tout dominer. Il s’agit d’arriver à ce que chacun d’eux dispose suffisamment de pôles d’excellence technologique, compte tenu de sa taille, pour être un coopérant recherché pour les programmes en coopération. En d’autres termes, la diminution envisagée de la base industrielle de défense européenne en volume s’accompagnerait, grâce à Euclid, d’une élévation générale et mieux distribuée en Europe de son niveau technologique. Parallèlement, les pays européens, étant plus impliqués dans leurs programmes, s’adresseront plus volontiers aux fournisseurs du continent pour leurs matériels d’armement. L’industrie européenne, disposant à son tour d’un marché élargi, en sera plus compétitive.
Expertise et technologie
Après avoir présenté les objectifs d’Euclid, on peut chercher à mieux cerner son objet, c’est-à-dire le contenu attendu des projets de recherche et de technologie (RTP) qui seront entrepris. Pour cela, il est utile de distinguer trois catégories de motivations des ministères de la Défense pour financer des études amont. Le ministère peut désirer disposer d’experts pour analyser les menaces, concevoir et évaluer les matériels ou juger de l’intérêt d’innovations. Il peut au contraire désirer disposer dans son pays d’organismes capables de développer et produire certains types de matériels. On peut alors parler dans le premier cas de recherche d’expertise, dans le second de recherche technologique. Le mot « technologie » est alors pris dans l’acception du Pentagone : « un ensemble de connaissances et de savoir-faire utilisables pour la conception, le développement, la production, la mise en œuvre et la maintenance d’une classe de produits ». Une troisième catégorie d’études amont comprend les développements exploratoires, destinés à évaluer l’adéquation de concepts et de techniques à apporter une réponse à des besoins militaires, à éclairer les choix des états-majors et à aider à préciser les spécifications d’un développement d’équipement ou de système. L’intérêt relatif pour ces trois catégories d’études amont varie largement d’un ministère de la Défense à l’autre.
Euclid a l’ambition d’offrir un cadre adéquat pour les trois types d’études. Cependant, dans un premier temps, les projets ressortiront surtout à la recherche technologique. Cela correspond mieux à la vision des industriels qui, comme on le verra plus loin, sont largement consultés dans la définition des projets. Cela répond surtout à l’emphase donnée par les ministres à l’affermissement en Europe des bases technologiques de la défense. Quand les règles et procédures d’Euclid auront ainsi été rodées, il sera plus facile de définir des projets de recherche d’expertise ou des développements exploratoires.
Programmes civils et militaires de recherche
Technologies duales
La question des relations entre programmes civils et militaires de recherche amène immanquablement à aborder la question des technologies dites duales. Le terme est une traduction écourtée de l’américain « dual use technology », technologie à double usage, autrement dit à usage civil et militaire.
Si on exclut du concept de matériel militaire ceux d’usage civil normal achetés par les armées, comme les voitures de service et les ordinateurs de bureau, on constate que rares sont les matériels opérationnels dont une version est utilisable normalement par les civils : certains hélicoptères et des matériels de télécommunications, par exemple. Par contre, des équipements peuvent être utilisables dans des matériels civils et militaires, et plus encore des composants. Il apparaît alors que les technologies duales, telles que définies plus haut, sont plutôt la règle pour les hautes technologies et que peu de celles utilisées dans les matériels militaires ne seront jamais utilisées dans des matériels civils.
Une autre considération intéressante pour ce sujet est que les organismes capables de mener les recherches et études pour les ministères de Défense sont le plus souvent civils. Une même action pourrait être soutenue à la fois par des organismes civils et militaires. Il est donc souvent difficile de parler de recherche civile et de recherche militaire, car il n’y a pas tellement de différence de nature ; elle réside dans l’origine du soutien à la recherche, quand elle n’est pas financée par l’entreprise qui l’exécute. D’où la notion de programmes civils et de programmes militaires de recherche.
Eurêka
On a souvent baptisé Euclid « Eurêka militaire ». La comparaison est flatteuse si l’on contemple le succès de celui-ci. Mais si une partie des intuitions fondamentales sont communes, en particulier le souci d’améliorer la position mondiale de la base technologique européenne, les motivations et les mécanismes diffèrent en de nombreux points.
D’abord, Eurêka veut aider l’industrie à être mieux armée pour attaquer le marché concurrentiel. Euclid vise à promouvoir des pôles technologiques européens qui puissent mieux coopérer à des développements ultérieurs d’équipements militaires et de systèmes d’armes. C’est une action qui se situe plus en amont dans l’histoire du produit. Par ailleurs, le marché du produit final est un oligopsone d’États et non un marché concurrentiel. Autrement dit, le retour sur investissement est plus tardif et plus aléatoire. En conséquence, l’industrie ne sera pas motivée à auto-investir une part majoritaire du projet. On devra donc envisager que les projets Euclid soient financés pour la majeure partie par les États. Alors que les projets Eurêka reçoivent un soutien financier, ceux d’Euclid font l’objet d’un marché d’études des États, avec participation industrielle.
Cela entraîne qu’à la différence d’Eurêka, les projets Euclid ne sont pas, du moins officiellement, d’initiative industrielle mais étatique. En fait, si la décision de financer tel ou tel projet et la définition de son contenu restent de la responsabilité des agents publics, le choix des projets et de leurs principales caractéristiques est fait en concertation étroite avec l’industrie, comme on le verra plus tard. Cela rétablit un certain degré d’initiative industrielle, et Eurêka en a montré l’utilité et l’efficacité.
Les programmes cadres de recherche et développement (PCRD) de la CEE
Euclid partage avec les PCRD des Communautés européennes la caractéristique de couvrir des actions précompétitives, c’est-à-dire en amont des développements de produits. Les différences portent surtout sur l’organisation et le fonctionnement des programmes.
Les PCRD sont gérés par la CEE. Ils disposent donc d’une administration centrale qui possède un statut juridique et un droit propre, et qui peut conclure des contrats. Les fonds des PCRD sont centralisés. Au contraire, le GEIP n’a ni structure centrale ni administration. La gestion d’Euclid devra donc être distribuée entre les ministères de la Défense. Par ailleurs, les fonds qui lui sont consacrés ne sont pas centralisés, mais restent dans les pays qui ont obtenu ainsi un « juste retour » intrinsèque. Il n’a été possible, dans Euclid, ni de définir des critères a priori de choix des projets, ni d’allouer des budgets aux différents domaines techniques. Donc si les divers programmes qui composent les PCRD peuvent publier des appels d’offres assez généraux et prendre les meilleurs projets d’initiative industrielle dans un domaine, chaque projet Euclid est défini séparément et fait l’objet d’une décision de participation de chaque pays.
Complémentarité
Il s’agit maintenant de voir s’il y a des conflits potentiels entre Euclid et les programmes civils européens de recherche. En fait, cette question est le prolongement de la même question posée au plan national. Les ministères de l’Industrie ou de la Recherche et de la Technologie soutiennent des actions de recherche en vue d’améliorer le niveau général des connaissances scientifiques dans le pays, la place de celui-ci dans le mouvement scientifique mondial, ou la santé et la compétitivité de l’industrie en général. Pour les ministères de la Défense, progrès des connaissances et santé de l’industrie sont intéressants dans la mesure où ils sont nécessaires ou utiles aux armées. Leurs actions de recherche et de technologies seront orientées dans ce but. Cela ne veut pas dire, loin de là, que les retombées civiles leur sont indifférentes, mais ce n’est pas une motivation essentielle.
Cette position est plus ou moins ferme selon les pays : chez certains partenaires du GEIP, le ministère de la Défense ne peut mener une action de recherche que si celui de la Recherche et de la Technologie n’a pas accepté sa proposition de l’inclure dans son propre programme. Cette conduite se reflète dans le positionnement d’Euclid par rapport aux programmes civils de recherche. Il ne se place pas en concurrent ni ne revendique un partage des thèmes avec les autres programmes. Au contraire, il se présente délibérément en complémentarité : une action de recherche ne sera définie et exécutée que dans la mesure où elle n’est pas prise en compte par les programmes civils européens de recherche, ou si elle constitue un prolongement d’une coopération civile pour des besoins prévisionnels essentiellement militaires.
Fonctionnement d’Euclid
Après toutes ces considérations préalables sur Euclid, il est temps de venir au cœur du sujet. Mais ce détour était nécessaire, car ses procédures et son fonctionnement ont été établis en fonction des contraintes et de l’environnement.
Domaines communs européens de priorités (Cepa)
On a d’abord déterminé des domaines techniques dans lesquels les projets de recherche et de technologie (RTP) seront définis. Ils sont au nombre de onze et sont appelés domaines communs européens de priorité (Cepa). En fait, leur choix n’a pas été la conséquence d’une analyse très rationnelle, mais plutôt de la conjonction des intérêts exprimés par les différents pays à la commission II du GEIP. Rien n’interdit, au contraire, d’en définir d’autres dès que la mise en place d’Euclid sera suffisamment avancée pour en laisser le loisir. Des idées circulent déjà.
Dans chacun de ces domaines, un groupe de fonctionnaires des pays intéressés se réunit pour identifier et définir les projets aptes à susciter l’intérêt de plusieurs pays et en fixer les contours. Ce processus se fait en concertation étroite avec l’industrie. À cette fin, l’Edig a constitué de son côté des groupes industriels de Cepa, ou Cig, pour organiser la concertation européenne à l’intérieur de la profession et servir de cadre de dialogue et de proposition en face des fonctionnaires. Plus de 200 de ceux-ci et 800 industriels participent peu ou prou à cet exercice.
Une fois les projets définis dans les grandes lignes, ils sont soumis aux autorités compétentes de chaque pays qui décident ou non de planifier des ressources budgétaires pour ce projet. Cette procédure est nécessaire, car il n’a pas été possible, dans l’état actuel de la concertation européenne sur la défense, de définir des budgets à allouer aux différents Cepa. Il faudrait pour cela disposer d’une vision harmonieuse des besoins militaires futurs et de leurs conséquences technologiques, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Alors la décision de participation nationale se fait au coup par coup, projet par projet, chaque pays replaçant chacun dans le cadre des priorités et des budgets nationaux.
Transferts de technologie
Les ministres demandent à Euclid d’aider à avoir en Europe une base technologique plus forte et mieux répartie. Cela implique que les projets soient des projets de création ou d’amélioration de technologie par rapport au niveau global européen. Il ne s’agit donc pas de transfert de technologie. Du reste, ce dernier se justifie quand un pays veut participer à un développement ou à une fabrication de produit et qu’il ne possède pas la technologie correspondante. Un transfert de technologie sans programme d’application n’aurait pas grand intérêt. Par contre, il est certain que par la coopération sur des projets de recherche qui font avancer le niveau technologique européen, certains pays verront le leur augmenter plus que d’autres dans ce domaine, car ils partent de plus loin. Le progrès sera plus sensible pour les uns que pour les autres, mais il devra être pour tous et pour chacun.
C’est pour cela que dans un projet Euclid les pays sont tenus de participer à parts à peu près égales. Il s’agit en effet de projets de recherche et de technologie destinés à donner à ceux qui y participent des connaissances et des savoir-faire utilisables dans les développements futurs de matériels et de systèmes. Chaque organisme participant doit donc avoir un métier qui lui permette d’apporter sa contribution à l’ensemble et une surface suffisante pour être capable de mettre en œuvre effectivement par la suite les connaissances et les savoir-faire acquis. Alors le pays peut participer au projet donné à parts égales ou à peu près égales. Sinon il vaut mieux qu’il consacre ses ressources à d’autres projets dans d’autres domaines.
Taille des projets
Une autre considération est que la technologie a un prix. Il y a des domaines où l’on peut acquérir un savoir-faire intéressant pour un investissement mesuré et d’autres où l’on ne se hisse ou se maintient au niveau mondial qu’au prix d’investissements énormes, souvent hors de portée d’un grand pays européen seul. Certains des projets Euclid seront ainsi pour des pays à ressources plus limitées. D’autres, qu’on espère nombreux, pourront inclure certains de ces pays.
Il n’y a donc pas de taille optimale pour des projets Euclid. De même, on n’a pas limité le nombre des États participant à un projet donné. C’est une double difficulté, d’une part parce que les projets qui attirent le plus de suffrages ne sont souvent ni les plus gros ni les plus faciles à partager, d’autre part parce que, avec le mécanisme qu’on a été amené à définir, les officiels des pays qui ont décidé de s’y joindre exigent la participation de leur industrie, ce qui éloigne la formation de consortiums de la rationalité industrielle. Cette difficulté est quasi insoluble dans les principes ; elle devra être résolue au cas par cas.
Projets de recherche et de technologie
Une fois les pays d’accord, un arrangement technique délègue à un pays pilote les budgets nécessaires et l’autorise à passer un contrat, un marché d’études, à une entité industrielle représentant un consortium. La mise en œuvre de ce principe est délicate, mais on y a tenu pour s’assurer d’une unicité de gestion du projet. Il paraît plus simple en effet de décider que chaque État passera un marché d’études à son organisme ou à son industrie, qui devra travailler en coopération avec les autres. L’expérience montre que cela peut entraîner des distorsions graves. C’est déjà gênant quand la coopération ne porte que sur des échanges d’informations. On a pensé que cela serait dirimant pour des coopérations plus intimes.
Par contre, chaque État paiera ses nationaux, et l’argent ne traversera pas les frontières. C’est une exigence de certains pays qui assurent ainsi le « juste retour » intrinsèque. C’était d’ailleurs une raison supplémentaire de ne pas avoir des budgets globaux répartis entre les Cepa.
Droits d’utilisation des résultats des études
La question des droits d’utilisation des résultats des études a été l’objet de longues tractations. En effet, les États avaient des vues souvent divergentes selon le niveau général et technologique estimé de leurs industries de défense. Par ailleurs l’industrie, représentée par l’Edig, a été largement consultée. On a essayé de concilier plusieurs rationalités.
La rationalité industrielle d’abord, en reconnaissant que la propriété intellectuelle des résultats appartient à ceux qui les ont produits. Un seul pays a demandé de pouvoir être copropriétaire des résultats obtenus par son industriel s’il finance l’étude à 100 %, ce qui devrait être exceptionnel.
La rationalité économique ensuite, en demandant aux industries et établissements de préciser dès avant l’exécution du projet les droits qu’ils s’accordent mutuellement pour l’utilisation des résultats acquis par leurs coopérants au cours du travail commun, ainsi que du background associé, et de convenir des bases de calcul d’éventuelles redevances.
La rationalité de défense enfin, les États demandant pour leurs besoins propres de défense un droit gratuit d’utilisation des résultats acquis au cours de l’étude commune par tous les industriels et établissements participants, et une licence à conditions préférentielles pour l’utilisation du background nécessaire. Il est à remarquer que les besoins propres de défense sont limités à l’équipement des forces armées de cet État et n’incluent pas celui des armées des autres pays, même du GEIP. En effet, l’esprit d’Euclid n’est pas de multiplier les centres de production pour exacerber la concurrence dans un secteur délicat, mais plutôt de favoriser les coopérations futures en gardant un niveau raisonnable de concurrence.
Calendriers et perspectives
La définition des premiers projets Euclid, des premiers RTP, a commencé en même temps que la rédaction de l’accord général. À ce jour, 26 esquisses de projets ont été enregistrées par la commission II du GEIP, pour lesquels les pays intéressés préparent des arrangements techniques au mémorandum d’entente cadre et des appels à propositions (voir annexe). Les premiers arrangements devraient être incessamment signés et les appels suivre. Cela fait espérer cinq à dix contrats dès cette année. D’autres esquisses de projets sont en préparation et la commission II en enregistrera un nouveau lot deux fois par an.
Si toutes les 26 esquisses actuellement approuvées étaient transformées en contrats pour leur montant estimatif, on aurait déjà atteint les trois quarts de l’objectif des 120 millions d’Écus de flux annuel dès l’annuité 1992. En fait, certaines esquisses ne parviendront malheureusement pas au stade du contrat, d’autres seront revues à la baisse d’ici là. Mais les autres projets prendront la relève et l’ordre de grandeur est bon.
La commission II du GEIP, ses sous-groupes de travail ont, en concertation avec les industriels, défriché la plupart des difficultés de mise en œuvre. Nul doute qu’on en découvrira encore, et les coordinateurs nationaux des différents pays se rencontrent régulièrement au sein d’un Groupe de mise en œuvre d’Euclid, pour les identifier et les résoudre, en attendant de fêter les premiers contrats de l’Europe de la technologie de défense.
Annexe
Liste des domaines communs européens de priorité (Cepa) et des esquisses de projets de recherche et de technologie (RTP) acceptées par la commission II du GEIP. (Entre parenthèses figure la nationalité du président du comité directeur de Cepa ou des pays pilotes du RTP).
Cepa 1 : Technologie moderne des radars (Allemagne)
1.1. Radars. Aspects liés à la mission (Allemagne)
Cepa 2 : Microélectronique silicium (France)
2.1. Technologie silicium sur isolant (Royaume-Uni)
2.2. Techniques d’assemblage et d’interconnexion (France)
2.3. Qualification militaire (Allemagne)
Cepa 3 : Structures composites (Pays-Bas)
3.1. Technologie à applications aéronautiques (Allemagne)
3.2. Optimisation contre projectiles légers (Pays-Bas)
3.5. Technologie de composites pour hautes températures (France)
3.8. Technologie à application navale (Norvège)
Cepa 4 : Avionique modulaire (Allemagne)
4.1. Étude d’harmonisation de l’avionique modulaire (?)
Cepa 5 : Canons électriques (Royaume-Uni)
5.1. Études opérationnelles et d’intégration de système (Royaume-Uni)
Cepa 6 : Intelligence artificielle (France)
6.1. Station de travail moderne pour C 3 (Royaume-Uni)
6.2. Reconnaissance rapide des formes (France)
6.3. « Knowledge engineering » (Pays-Bas)
Cepa 7 : Maîtrise des signatures (Espagne)
7.3. Améliorations des codes de prédictions des surfaces équivalentes radar (Espagne)
7.8. Dessin optimal des formes (France)
Cepa 8 : Composants optoélectroniques (Italie)
8.1. Caméras infrarouges légères à coût modéré (Royaume-Uni)
8.3. Sources lasers à l’état solide (France)
Cepa 9 : Technologie de surveillance par satellites (Norvège + France)
9.1. Harmonisation des concepts technologiques (France)
9.2. Technologies des détecteurs optiques à haute résolution (Allemagne)
9.3. Radar spatial moderne à ouverture synthétique (Italie)
9.4. Traitement et maniement de données à grande vitesse (Norvège)
9.5. Technologie des segments sols (Espagne)
Cepa 10 : Détection sous-marine et technologies associées (Royaume-Uni)
10.1 Propagation sous-marine des ondes à très basse fréquence (Pays-Bas)
10.2 Détecteurs de cap pour réseaux remorqués (Royaume-Uni)
Cepa 11 : Technologie dans le domaine des facteurs humains y compris simulation d’entraînement (Pays-Bas)
11.2. Techniques de simulation (Royaume-Uni)
11.3. Simulation de bataille et de mission (Allemagne)
(1) Niag : « Nato industrial Advisory Group ». Sper : Syndicat des industries de matériel professionnel électronique et radioélectrique. Gifas : Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales. Gicat : Groupement des industries concernées par les matériels de défense terrestre.
(2) Dans la suite, quand on parlera des ministres sans précision, il s’agira des ministres de la Défense des pays du GEIP.