Cet article commence par une phrase à laquelle pourrait être opposé un jugement selon lequel l'Allemagne et le Japon, deux géants économiques, ont beaucoup perdu politiquement à l'occasion de la guerre du Golfe. L'auteure, fidèle de la revue, nous explique de façon remarquable l'attitude du Japon lors de cette crise : déchirements, contradictions, vexations même ; elle seule pouvait nous décrire ces sentiments et poser des questions sur l'avenir.
Le gouvernement japonais en guerre contre le pacifisme insulaire
« Sur le front économique, les vainqueurs dans la guerre du Golfe pourraient être l’Allemagne et le Japon » (1). Ce scénario cauchemardesque hantait de temps à autre les pays européens belligérants. Ces deux pays, membres du camp occidental, ont limité leur soutien à la force multinationale essentiellement à des contributions financières. « Ils ont les ressources nécessaires, non seulement pour assumer sans dommages cette charge, mais encore pour faire face demain, mieux que n’importe lequel de leurs partenaires, à une éventuelle flambée du prix du pétrole. Plus la guerre durera et plus leur position se renforcera », observa le quotidien Le Monde.
Or, cette position ne correspondait pas tout à fait au choix du gouvernement japonais qui, en automne 1990, s’imposa la logique de guerre. Certains des jeunes parlementaires du PLD (Parti libéral démocrate), en particulier, auraient aimé voir le Japon doté, enfin, de l’attribut essentiel d’une grande puissance, celui d’avoir la capacité de régler militairement un conflit international. Aptitude que la Constitution de 1946, appliquée en 1947, lui avait, on le sait, ravie. L’article 9, en effet, stipule : « Le peuple japonais renonce pour toujours à la guerre en tant que droit souverain de l’État et à la menace de l’emploi de la force comme instrument pour résoudre les différends internationaux ». Disposition bien curieuse, cependant, puisqu’elle prive définitivement un État de la pleine souveraineté, et problématique aujourd’hui : l’ambition de certains Japonais de participer au règlement de graves crises internationales, en Extrême-Orient (Cambodge) ou au Proche-Orient (Golfe), procède de la nécessité d’ajuster la puissance mondiale de leur pays aux responsabilités qu’elle entraîne. Or, ce désir impérieux n’a pas, pour l’heure, abouti : le Japon n’a pas figuré parmi les forces de la coalition. Pourquoi ? Il y a de multiples raisons assurément, intérieures, certes, mais extérieures tout autant.
Face aux exigences américaines en matière de défense et à la résistance qu’elles suscitent à la Diète et dans la rue, le gouvernement a pris l’habitude de réagir au coup par coup. Voilà ce que l’expérience manifeste. Il n’y aurait donc pas de politique de défense à proprement parler, laquelle suppose, entre autres, l’élaboration d’un cadre institutionnel définissant le champ légal de son exercice. On n’est plus, il est vrai, au temps où le gouvernement suscitait une violente opposition chaque fois qu’il acceptait les décisions américaines. La majorité du peuple, en effet, accepte aujourd’hui la force d’autodéfense et le haut niveau de dépenses qui lui est consacré (le cinquième budget de défense du monde « occidental » en 1988) (2). Mais par-delà cet acquiescement tacite, le peuple japonais semble soucieux de préserver sa tranquillité d’antan, enfin durablement retrouvée. L’aventure militariste qui a abouti à la catastrophe de 1945 ne serait donc qu’une rupture temporaire avec la séculaire tradition « pacifiste » de l’île.
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