Nous sommes à nouveau particulièrement heureux de publier dans notre revue les réflexions de l'auteur sur les intentions de MM. Bush et Gorbatchev concernant le désarmement nucléaire. Il nous décrit parfaitement les arrière-pensées de l’un et de l’autre, et évoque en outre le cas de la France, qui avait en ce domaine défini une notion de « suffisance » désormais prise au sérieux.
Les plans américain et soviétique de désarmement nucléaire
Après avoir longtemps tourné en ridicule la stratégie de dissuasion minimale adoptée par la France (par manque de moyens plus que par sagesse, il est vrai), voici que, suivis par les Soviétiques, les États-Unis en découvrent la validité. Dépassant les objectifs initialement visés par les négociations sur la limitation des forces nucléaires stratégiques, M. Bush a proposé la mise au rebut d’au moins la moitié des engins atomiques que possède son pays. La presse spécialisée d’outre-Atlantique reconnaît que la sécurité des États-Unis pourrait être aussi bien assurée par un pouvoir d’intimidation minimal — et à meilleur compte — que par une coûteuse capacité de surannihilation, hier encore recherchée, et obtenue, par chacune des deux grandes puissances militaires.
Certes, apparemment imposantes et généreuses, les propositions de M. Bush ne sont pas dénuées d’arrière-pensées : serait proscrit un type d’armement où l’Union Soviétique l’emporte — les grosses fusées à ogives multiples notamment —, et conservé celui dans lequel, au moins qualitativement, l’Amérique excelle : les sous-marins lance-missiles. De surcroît, en condamnant les engins balistiques à courte portée, la Maison-Blanche ferait d’une pierre deux coups : elle s’assurerait que les unités terrestres dispersées dans l’« empire éclaté » — échappant éventuellement au contrôle du pouvoir central — ne détiendraient plus de telles armes, et dans le même temps, autre avantage, l’Amérique poursuivrait son désengagement, balistique et nucléaire, des théâtres extérieurs, à commencer par l’Europe, car les engins à courte portée n’ont évidemment de signification militaire, donc politique, que déployés à proximité de l’« adversaire potentiel » (aujourd’hui, cet ex-« adversaire potentiel » a d’autres soucis que d’en découdre avec un Occident dont il attend le salut), et la démarche rallie tous les suffrages bien qu’elle spécule sur un avenir imprévisible. Paradoxalement, c’est au moment où l’Union se désagrège et que les républiques qui s’y substituent paraissent durablement affaiblies que Moscou atteint enfin l’un des principaux objectifs de sa stratégie : le retrait des armes nucléaires américaines des territoires de l’Europe occidentale. Ce que le triomphalisme expansionniste de Leonid Brejnev n’avait pu arracher aux Alliés, l’état de l’« empire du mal » et le misérabilisme affiché par Mikhaïl Gorbatchev sont en passe de l’obtenir.
Le désarmement unilatéral avancé par Washington a été accompagné de dispositions subordonnées à l’acceptation de Moscou. À y regarder de près, on peut croire que la Maison-Blanche se serait préalablement entendue avec le Kremlin, certaines des mesures préconisées par M. Bush allant au-devant des préoccupations de M. Gorbatchev et même du haut commandement soviétique, si d’autres, en revanche, se révèlent probablement inacceptables, notamment en raison des deux milliards de Chinois et d’Indiens qui vivent aux frontières asiatiques de l’ex-Union Soviétique.
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