La minorité hongroise de Roumanie : perception et réalité
La revue Défense Nationale a publié dans son numéro d’août-septembre une chronique (1) à laquelle nous souhaitons apporter les réponses suivantes.
Tout d’abord, l’affirmation selon laquelle le Traité de Trianon aurait amputé le royaume de Hongrie des trois quarts de sa superficie et des deux tiers de sa population ne tient pas compte de la volonté des peuples allogènes de ce royaume, qui souhaitaient le démembrement. De plus, lorsque ce traité a été signé, le 4 juin 1920, les peuples hongrois, tchécoslovaque, polonais, yougoslave et roumain avaient déjà décidé, selon leur droit à disposer d’eux-mêmes, de se constituer en États indépendants. Par exemple, les Roumains de Transylvanie ont décidé à Alba Iulia, le 1er décembre 1918, leur réunion à la Roumanie, parce qu’ils étaient majoritaires, en représentant 53,8 % dans cette région de l’empire d’Autriche-Hongrie (2). Dans les assemblées de Médias et Timisoara, la population d’origine allemande de Transylvanie et du Banat (13,27 % de la population du territoire ancestral roumain revenu à la Roumanie) (3) a approuvé la décision des Roumains, en l’appliquant à elle-même. Le traité de Trianon n’a donc fait qu’entériner le résultat de la volonté des peuples.
En Roumanie, selon le recensement officiel de janvier 1992, auquel des observateurs étrangers ont participé et auquel ont été associés des organismes des Nations unies, il y a 1 620 199 citoyens de nationalité hongroise, 7,1 % du total, alors que la population majoritaire, celle des Roumains, représente 89,4 %. Ces citoyens de nationalité hongroise sont prépondérants dans deux des 41 subdivisions administratives de la Roumanie, Covasna et Harghita (donc en plein cœur du pays), où ils représentent entre 70 et 85 % de la population. Les autres sont distribués comme suit : Hunedoara 6,1 % ; Maramures 10,2 % ; Mures 41,3 % ; Alba 6 % ; Arad 12,7 % ; Bihor 28,5 % ; Brasov 9,8 % ; Cluj 19,8 % ; Satu Mare 35 % ; Salaj 23,7 % ; Timis 9,1 % ; ainsi que d’autres départements, en nombre plus réduit, ce qui représente pour la Transylvanie 23,02 % de Hongrois, contre 72,14 % de Roumains.
Du point de vue des droits de l’homme, la situation des personnes appartenant aux minorités nationales — y compris la minorité hongroise — est comparable à celle prévalant dans les autres pays européens, voire meilleure. La Roumanie se conduit, dans ce domaine, selon le principe : ce qui est bon pour l’Europe, est bon pour la Roumanie (4).
La minorité hongroise a constitué un parti politique fondé sur des critères ethniques, qui a obtenu 39 places dans le Parlement de la Roumanie, élu en septembre 1992 ; cela représente 8,28 % du total des parlementaires. Dans l’administration locale, ont été nommés, issus de la minorité hongroise, deux préfets de département, quatre sous-préfets et 18 représentants dans les bureaux des préfectures. De plus, aux élections locales de février 1992, un grand nombre de maires et conseillers magyars ont été élus.
L’enseignement primaire et secondaire en langue hongroise représente 8,5 % du total des unités scolaires. En Roumanie, à Tîrgu Mures et Cluj-Napoca, il y a quatre facultés en langue hongroise (médecine, théâtre, philologie, théologie). Dans les facultés polytechniques de Cluj-Napoca, existent des groupes distincts d’enseignement en hongrois. Par ailleurs, l’accès aux autres instituts d’enseignement supérieur du pays n’est soumis à aucune discrimination de nature ethnique.
Les personnes appartenant à la minorité hongroise ont à leur disposition, avec subvention de l’État, sept théâtres dramatiques, quatre théâtres de marionnettes et trois ensembles folkloriques dans leur langue maternelle, auxquels on peut ajouter des formations artistiques d’amateurs. À Bucarest, paraissent 13 publications à diffusion nationale en langue hongroise, ainsi que 70 en province. La télévision nationale émet en hongrois 180 minutes par semaine, et la radio 60 minutes par jour. Les postes de radio et de télévision locaux (Cluj-Napoca, Timisoara), le poste radio de Tîrgu Mures et les studios de télévision d’Arad, Brasov et Oradea ont des émissions en magyar proportionnelles au pourcentage de la population hongroise.
La pratique du culte religieux en langue maternelle est garantie par l’existence d’environ 2 000 temples protestants et églises catholiques romaines et uniates : soit 16 % du total roumain des institutions de culte ; 1 700 prêtres et prélats, pratiquant le hongrois, les desservent (11 % du total des ecclésiastiques de Roumanie).
Les personnes appartenant aux minorités ethniques ont accès, sans aucune restriction, à la carrière militaire. À présent, parmi les cadres actifs de l’armée roumaine, il y a des citoyens roumains de nationalité hongroise dans un pourcentage d’environ 2 %, y compris des généraux et officiers supérieurs qui assurent des fonctions importantes dans les institutions centrales, les commandements opérationnels et tactiques de notre armée (5).
Les problèmes qui ont surgi dans les départements à majorité hongroise trouvent leur source dans la tendance des milieux dirigeants de la minorité magyare à scinder à leur profit les écoles et les facultés, et parfois même les institutions dont bénéficie l’ensemble de la population. Cela a conduit à des abus, comme par exemple le congédiement d’enfants et de professeurs roumains dans les écoles de certaines localités à majorité hongroise : Sfîntu Gheorghe, Baraolt, Odorhei. Dans ces mêmes localités, mais aussi à Miercurea Ciuc et Tîrgu Secuiesc, plusieurs ingénieurs, médecins, économistes, juristes de nationalité roumaine ont été éloignés d’une manière abusive de leurs fonctions, ou ont été obligés de quitter leur domicile sous la pression et les menaces des Magyars. Ces tendances vont de pair avec certaines actions et déclarations des autorités de Budapest. Cela a suscité de très vives réactions en Roumanie, y compris la formation d’organisations et de partis politiques qui se proposent de défendre l’unité du pays. L’armée roumaine, quant à elle, se situe, bien entendu, en dehors de la politique ; mais sa mission demeure de défendre l’intégrité territoriale du pays contre toute menace extérieure.
Il faut noter que le 25 octobre, la dernière déclaration de l’Union démocratique des Hongrois de Roumanie (le parti politique de la minorité hongroise) ne réclame étrangement aucun des droits liés au maintien de l’identité ethnique, ou linguistique, tels qu’ils sont proclamés dans les documents de l’ONU, de la CSCE ou du Conseil de l’Europe. Elle demande, en revanche, « l’autonomie et l’autoadministration ethnique », ce qui ne correspond ni aux réalités territoriales et démographiques de la Roumanie, ni aux principes et normes du droit international, ni, surtout, à la tradition constitutionnelle roumaine : celle-ci, à prédominance unitariste, est née de l’influence des historiens français du XIXe siècle (Michelet, Quinet, etc.) sur les révolutionnaires roumains de 1848.
Selon sa nouvelle Constitution de 1991, la Roumanie est donc — à l’image de la France — un pays unitaire. Ce concept politique repose sur la situation démographique du pays, où les Roumains sont de loin majoritaires dans toutes les provinces historiques (Banat 82,3 % ; Dobroudja 90,8 % ; Moldavie 98,4 % ; Muntenie 97,7 % ; Oltenie 98,2 % ; Transylvanie 72,14 %). Cela n’est nullement incompatible avec la reconnaissance et la réalisation des droits des personnes appartenant aux minorités. Le présent article, tout entier, apporte des arguments en ce sens. ♦
(1) « Minorités hongroises et tensions ethniques en Europe centrale », n° 8/9 1992, pages 181-183.
(2) et (3) Recensement général de la population des pays de la Sainte Couronne hongroise en 1910, rédigé et publié par l’Office central de statistiques du royaume de Hongrie ; Budapest, 1913.
(4) Constitution de la Roumanie, art. 20 : « S’il n’y a pas concordance entre les pactes et les traités portant sur les droits fondamentaux de l’homme, auxquels la Roumanie est partie, et les lois internes, les réglementations internationales ont la primauté ».
(5) Par exemple : général major ingénieur Demeter Stefan, adjoint du commandant de l’Académie technique militaire ; colonel Sep Gheorghe, adjoint d’un commandant d’armée ; colonel Varkonyi Ludovic Martin, chef de section dans un commandement d’armée ; colonel ingénieur Kacso Carol, chef de bureau dans un commandement d’arme ; colonel Sarkozy Stefan et colonel Elck Gyula, respectivement adjoint de commandant de division et commandant d’arme dans un commandement de division ; colonel Szabo Mihail, titulaire d’une chaire dans un Institut militaire d’enseignement supérieur.