À la veille du XXI^e siècle, la Grande-Bretagne rappelle la permanence d’une interrogation quelque peu oubliée en Europe, mais toujours actuelle : que sont le déclin et la décadence ?

Tout au long de la première moitié du XX^e siècle, l’Europe fut hantée par cette question ; elle était encore le centre du monde ; ses conflits déterminaient l’évolution de la planète. Toutefois, des penseurs ou des historiens, comme Valéry, Spengler, Toynbee, savaient que toute puissance se détruit, que, plus elle est ample, plus elle est précaire. La Première Guerre mondiale montrait que l’Europe, continent de l’invention du progrès, flambeau de la civilisation, pouvait se suicider par un engrenage de passions nationales. Dans l’entre-deux-guerres, elle chercha frénétiquement le remède contre la décadence : le communisme soviétique, le fascisme mussolinien, le nazisme apporteraient au Vieux Continent une nouvelle énergie, un nouveau sens du sacrifice. Puis la Seconde Guerre mondiale acheva la Première : l’Europe devint un espace dominé, gardé par deux superpuissances.

De la fin des années 40 à celle des années 80, l’Europe pouvait oublier cette interrogation sur la décadence. Elle ne faisait plus l’histoire. Du côté occidental, les « trente glorieuses » effaçaient les cauchemars du demi-siècle précédent. Aux grands rêves ou délires collectifs qui avaient conduit à de terribles boucheries succédaient la société de consommation, le droit d’être soi-même, le bonheur individuel. Or, au moins depuis les années 70 avec les chocs monétaires, pétroliers, financiers, l’Europe est à nouveau emportée par les mouvements de l’histoire. Il ne s’agit certes plus pour elle de redevenir le centre du monde, mais d’exister sur une planète, qui, pendant près de cinq siècles, fut occidentale, et qui peu à peu se fait pleinement mondiale. Cela signifie que rien n’est jamais acquis, que la puissance n’est plus la propriété d’une partie du monde, mais est un enjeu entre un nombre changeant de prétendants.