À l'occasion de la publication prévue d'un Livre blanc – que nous avons évoqué –, l'auteur nous fait part de ses réflexions sur l'évolution du monde et ses conséquences pour notre concept de défense.
Libres réflexions sur la défense
Pour les Français des générations qui ont eu le triste privilège d’assister à la défaite de leur pays et à son occupation à l’issue du désastre de 1940, celui de participer à la guerre d’Indochine au moment même où elle s’achevait sur une nouvelle défaite, puis celui de connaître de près les événements d’Algérie et leur dénouement, la guerre est un souvenir qui imprègne toute réflexion politique. La paix que nous connaissons en Europe, aussi durable qu’elle ait été, grâce à l’équilibre de la terreur, jusqu’à ce qu’éclate la guerre de Yougoslavie leur apparaît comme un phénomène différent où la sagesse de l’homme ne se manifeste que lorsque certaines conditions contiennent son instinct de prédation et de conquête. L’avenir de la paix n’étant assuré que si perdurent les conditions qui la favorisent, une interrogation fondamentale ne peut manquer de naître en eux : jusqu’à quand ces conditions seront-elles établies ? Que se passera-t-il si des événements néfastes viennent déséquilibrer la délicate balance des relations entre les peuples ou entre les États ? La France, l’Europe, peuvent-elles compter sur la persistance quasi éternelle d’un état dont la fragilité doit être appréciée dans leur histoire tourmentée, image de celle de toute l’humanité ? La Yougoslavie a apporté une réponse qui résout toutes les interrogations.
Pour les responsables d’un État, la méditation sur l’avenir et les conceptions politiques qu’elle leur inspire reposent sur une base philosophique, parfois sommaire, qui peut seule guider leur pensée dans un domaine où l’incertitude est dominante. Pour eux, le long terme compte autant, sinon plus, que les échéances rapprochées. Dans la vision des temps à venir qui s’impose à eux, la perspective d’une paix permanente est d’autant plus douteuse qu’une telle situation n’aurait aucun précédent. La vérité du vieil et sage adage romain, Si vis pacem para bellum, s’impose à eux. Ils se souviennent que, pendant cette période de près d’un demi-siècle qui vient de s’écouler, seule une ferme préparation à la guerre a permis à l’Europe de ne pas subir à nouveau des épreuves qui, dans un monde grandissant autour d’elle, auraient ruiné pour longtemps toute chance sérieuse qu’elle puisse un jour reprendre un rang digne de son passé.
Le mouvement prodigieux et apparemment irrésistible qui entraîne le monde vers les inquiétantes conséquences de ses bouleversements démographiques, économiques et politiques multiplie sans cesse les raisons de se mettre en garde contre des dangers de plus en plus réels. L’une après l’autre, chaque année apporte la preuve que l’instabilité chronique de notre époque ne fait que croître, amplifiant des motifs de crises que les solutions modérées sont incapables de résoudre. La sécurité devient alors le premier besoin des nations européennes aux économies fragiles ; mais leur mode de vie amollissant les prépare mal à se plier aux sacrifices limités qu’exigerait la protection de leur niveau d’existence qui est cependant le plus élevé au monde. L’accoutumance à une démagogie diffuse, faiblesse de la démocratie, détourne les peuples d’une juste perception de réalités déplaisantes. La défense n’apparaît plus que comme une charge dont la justification et la nécessité sont perdues de vue.
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