Cet article original se concentre sur le Mékong, ce fleuve de plus de 4 000 kilomètres qui naît au Tibet et finit par un immense delta nourricier en mer de Chine du Sud. À cette occasion, l'auteur nous rappelle fort opportunément que nous devrions montrer plus d'intérêt à cette région qui a pourtant beaucoup compté pour la France.
Géopolitique du Mékong
Obstacle ou lien ? Un cours d’eau peut jouer contradictoirement ces deux rôles, selon la volonté des hommes qui vivent sur ses rives. Après avoir constitué l’artère centrale de l’Empire khmer qui, à son apogée, dominait toute la portion centrale de la péninsule indochinoise, le bassin du Mékong fut réduit, au contraire, à n’être qu’une zone tampon entre les expansionnismes rivaux des Siamois et des Vietnamiens, puis — au moins dans la portion moyenne du cours du fleuve — frontière du domaine que la France s’était taillé, dans la seconde moitié du XIXe siècle, sur la bordure orientale de la péninsule. Les trois pays, alors rassemblés sous la férule de la puissance coloniale, avaient été unifiés, au moins sur le plan administratif, et baptisés du terme unique d’Indochine. On sait dans quelles circonstances tragiques l’ancienne Indochine française devint, en 1975, l’Indochine communiste ; et, dès lors, le Mékong se mua en barrière idéologique, fragment du rideau de bambou, lui-même prolongement asiatique du rideau de fer qui s’était abaissé sur l’Europe centrale dès 1948.
Aujourd’hui, le monde communiste s’étant effondré, le Laos, le Vietnam et même le Cambodge — quoique dans des conditions plus confuses et plus fragiles — ont entamé une évolution encore modeste, mais que l’on peut espérer irréversible, qui les rapproche de leurs voisins de l’Asie du Sud-Est. Dès lors, il semble opportun de s’interroger sur le rôle, nouveau ou renouvelé, que peut jouer le Mékong au cœur d’une région qui s’efforce, à la fois, de cicatriser les douloureuses séquelles du passé, récent comme ancien, et de s’engager dans la dynamique du développement qui a touché, surtout au cours des dix dernières années, l’ensemble des pays situés sur la bordure asiatique du Pacifique.
Du tibet à la mer de chine méridionale
Comme tous les autres grands fleuves de ce continent, le Mékong naît au cœur de ce gigantesque château d’eau constitué par l’Asie centrale ; l’axe général de son cours est nord-sud et son embouchure se situe en zone tropicale ; c’est dire que grâce à la fonte des neiges himalayennes d’une part et au rythme alternant de la mousson d’autre part, il est abondamment alimenté en permanence même si des crues, importantes mais progressives, peuvent décupler son débit, et même davantage, à la période dite des hautes eaux, soit, avec quelque décalage selon les lieux, durant l’été et le début de l’automne boréal (1) ; ces changements de niveau, qui bouleversent profondément, non seulement le paysage mais le style de vie des populations, en particulier leurs activités agricoles, sont considérés comme des événements bénéfiques même si, certaines années, la brutalité des phénomènes en accroît les dangers (2) ; et les diverses traditions des populations riveraines ont même eu tendance à diviniser les forces naturelles liées à cette omniprésence du fleuve (3).
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