La réflexion stratégique en 1995
À force de répéter que nous en avons fini avec la guerre froide, nous pouvons, en effet, nous rendre compte maintenant que celle-ci s’éloigne dans le passé. Il est temps, cette page étant tournée, de déchiffrer le nouveau chapitre de l’histoire des relations stratégiques internationales dans lequel nous sommes entrés. Plus de cinq ans se sont écoulés depuis la désagrégation du camp de l’Est et plus de trois ans depuis la dislocation de l’Union Soviétique. L’expérience qui a été faite d’un monde où ne rivalisent plus deux grandes puissances militaires, où les frontières ont été bouleversées, depuis l’Adriatique jusqu’aux confins de la Chine, et où prévaut l’hégémonie exclusive des États-Unis, est suffisante, aujourd’hui, pour que l’on discerne déjà les sources actuelles ou éventuelles de crises et de guerres, les nouvelles formes qu’elles prennent, les conclusions à en tirer.
Bien qu’en ces temps de crise économique et sociale le pessimisme soit répandu et la morosité de rigueur, il faut reconnaître que la paix règne sur la plus grande partie du monde, que les libertés publiques et individuelles ont fait, en de nombreux pays, de très considérables progrès et qu’il en résulte, sur des continents entiers, de moindres tensions. C’est sans doute là l’essentiel, qu’il ne faut pas perdre de vue même quand la violence et le caractère spectaculaire des crises que nous connaissons maintenant fascinent et angoissent les opinions publiques. Du reste, ces crises et ces conflits s’énumèrent facilement. Dans l’ancienne Yougoslavie, le farouche refus d’une partie des populations d’être incorporées dans des États dont elles ne veulent pas dépendre et d’accepter les frontières qu’elles ne trouvent pas légitimes, entretient une guerre violente prolongée par un blocus implacable, mais celle-ci demeure circonscrite au territoire de la Bosnie-Herzégovine, même si l’on peut prévoir son extension en surface et l’escalade des moyens qu’elle met en œuvre.
Le très ancien conflit israélo-arabe garde son intensité et ses virtualités d’explosion, mais il se limite, en pratique, au territoire palestinien et aux confins israélo-libanais ; ses risques de propagation sont sensiblement réduits depuis qu’un traité israélo-jordanien a été conclu, et quoi que l’on pense des retards pris dans l’application de l’accord d’Oslo, des perspectives de paix sont ouvertes aux autres protagonistes du conflit. L’Algérie est déchirée par ce qui ressemble à une guerre civile intense et cruelle, mais la victoire n’a pas été remportée par l’islamisme armé dont la contagion semblait parfois menaçante pour les États voisins et ceux-ci paraissent déterminés à employer tous les moyens de l’empêcher. La persistance de l’activité militaire des Khmers rouges paralyse en partie les efforts de reconstruction du Cambodge, mais n’a pas ébranlé la région. Aussi dramatiques et sanglants qu’aient été les événements du Rwanda, et quelles qu’aient été leurs interférences extérieures, ils s’inscrivent, hélas ! dans la série des affrontements et massacres que ce pays a connus.
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