Les économies de guerre dans les conflits de faible intensité (II)
Les zones frontalières ouvrant sur un pays sanctuaire (militaire ou humanitaire) étaient jusqu’ici, et particulièrement ces vingt dernières années, le théâtre d’une activité militaire intense. Dans la profondeur du pays, on observait en général la dichotomie classique : villes, zones de production économique, voies de communication aux mains du gouvernement ; campagnes, montagnes, forêts tenues par la guérilla, laquelle procédait à des coups de main destructeurs.
Aujourd’hui, le recul des États est souvent important, soit qu’il s’agisse d’États en transition au terme d’un long conflit de guerre froide (Éthiopie, Afghanistan, Angola), soit qu’il s’agisse d’États saisis par la banqueroute, minés de l’intérieur et gravement affaiblis (Niger, Zaïre, Somalie). Les pouvoirs insurrectionnels, loin de se limiter à des maquis plus ou moins désertiques et inaccessibles, s’installent souvent dans des fractions larges du pays et y organisent une économie complète, parallèle et parfois très puissante. On a vu en 1991 le Liberia administré dans plus des trois quarts de son territoire pendant de nombreux mois par le mouvement armé de Charles Taylor. Exploitant le caoutchouc, le bois et le minerai, prélevant des « taxes » sur les exportations illégales de diamants à partir de la Sierra Leone, le FNPL a constitué une véritable économie à grande échelle.
Il était d’usage de dire dans les années 70 et 80, conformément à l’opinion de Henry Kissinger, que les guérillas ne cherchaient pas à contrôler des territoires mais des populations. De là venaient leur caractère mobile, leur capacité d’abandonner tactiquement du terrain pour se redéployer ensuite. Aujourd’hui, elles semblent chercher une forme de pouvoir plus complète : elles contrôlent des populations et des ressources. Nous verrons que selon les économies de guerre dont elles disposent (économie basée surtout sur la prédation ou surtout sur la criminalisation), les attitudes stratégiques sont différentes. Retenons seulement ceci : dès lors qu’une guérilla a pour ambition de fonder une économie de guerre sur l’exploitation criminelle, particulièrement des ressources naturelles, elle entre dans une logique de guerre comparable à celle des armées régulières, elle s’accroche à des enjeux géographiques stables. Elle se bat pour des plantations, des voies de communication, des gisements, des sites archéologiques et artistiques. Ces intérêts donnent aux conflits actuels, spécialement en Afrique, continent où la décomposition de l’État est la plus avancée, un caractère nouveau : les guerres civiles ont de moins en moins la mobilité, l’aspect insaisissable, volatile des actions de guérillas ; elles prennent de plus en plus souvent l’aspect de guerres de position.
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