Voici une excellente étude du lieutenant-colonel Ponties, affecté actuellement à la division « transmissions-électronique-informatique » de l’état-major des armées. Il s’agit d’une réflexion sur les actions que les armées doivent mener dans le proche avenir pour renforcer leurs capacités d’anticipation et d’adaptation dans un monde en perpétuelle évolution. Nous sommes particulièrement heureux d’accueillir cette étude.
Anticipation et réactivité : une nécessité pour les armées
Dans un essai retentissant (1), Paul Kennedy dressait ce constat qui allait peu à peu s’imposer comme une évidence : « Nous ne possédons qu’une seule certitude : nous sommes confrontés à d’innombrables incertitudes ; mais reconnaître ce fait constitue un point de départ vital et vaut, bien sûr, beaucoup mieux que de rester aveugle aux changements que vit notre monde ». De fait, sociologues, économistes, observateurs politiques et autres experts en géostratégie se répandent en prédictions alarmistes, rendent des oracles apocalyptiques et s’adonnent avec délice au petit jeu sulfureux des supputations. D’autres, moins hardis, décrètent purement et simplement La fin de l’histoire par confort intellectuel ou cécité teintée d’inconscience, conférant à la notion aronienne d’« âge post-diplomatique » (2) une portée que l’auteur n’avait probablement pas soupçonnée. Certes, le futur fascine et l’avenir inquiète.
Dans cette permanente confusion des sentiments, la défense s’attache à comprendre les mécanismes qui commandent les affaires du monde, tentant d’anticiper les situations, de prévoir les évolutions, d’évaluer les risques. L’exercice n’est pas nouveau ; il revêt cependant une dimension particulière dans le monde déstructuré qui prévaut aujourd’hui. Raymond Aron a clairement posé, il y a plus de trente ans, les termes subtils de l’équation à laquelle nous sommes de nos jours confrontés : « L’action se fonde sur des probabilités. Elle ne serait pas raisonnable si elle refusait le risque, elle est raisonnable dans la mesure où elle calcule le risque ; mais jamais on n’éliminera l’incertitude qui tient à l’imprévisibilité des réactions humaines, au secret dont s’entourent les États, à l’impossibilité de tout savoir avant de s’engager » (3).
Conscientes de la persistance d’une telle ambiguïté, les armées se sont employées, de longue date, à limiter la part de l’incertitude et du secret afin de réduire les risques, d’adapter au mieux la riposte à la menace, et d’optimiser l’emploi de moyens au coût sans cesse croissant. L’institution s’évertue à « faire apparaître quelques fixités » dans une conjoncture budgétaire contractée et une politique de défense en profonde mutation. Dans cet esprit, elle développe des systèmes de plus en plus performants pour accroître ses capacités « d’intelligence des situations » et doter ses cadres des moyens conceptuels et méthodologiques indispensables à toute vision prospective. Elle tente par ailleurs de comprendre les secousses du monde en marche dans l’extrême complexité de leurs ressorts et d’imaginer les convulsions de demain. Si le devoir d’exhaustion demeure, jamais l’obligation de hardiesse et d’imagination n’a été aussi grande pour maintenir la vigilance et anticiper au niveau requis. Souvenons-nous, avec le général de Gaulle, « qu’il ne faut pas attendre du hasard et des formules ce qu’on a négligé de préparer » (4).
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