La dernière année du XXe siècle
Dans ce siècle finissant, le monde reste bouleversé par des crises multiformes, imprévisibles, omniprésentes. Et l’année qui débute ne nous épargnera pas, de toute évidence, de nouveaux sursauts, peut-être de nouvelles tragédies, mais aussi, et nous le souhaitons, de grands espoirs.
L’Europe poursuit sa construction. Quelle Europe ? Le problème n’est pas encore politiquement résolu ; mais la mise en application des textes fondateurs — traités de Maastricht et d’Amsterdam — est déjà une réalité au plan monétaire : l’euro est né. Les conséquences de cet acte capital sont de première importance puisque, ainsi, une monnaie de référence mondialement reconnue contrebalancera la toute-puissance du dollar et du yen et donnera aux pays d’Euroland la même autorité que celle de la grande puissance américaine dans les échanges économiques internationaux.
Il reste à construire l’Europe politique et l’Europe de la défense, ce qui n’est pas le moindre des problèmes. Même si les traités de Maastricht et d’Amsterdam définissent les identités correspondantes (Politique étrangère et de sécurité commune, Identité européenne de défense et de sécurité), il y a trop de réticences, trop d’intérêts particuliers, trop de divergences de vue chez l’ensemble des partenaires pour que l’horizon proche ne s’éclaire dans ces domaines. Le débat reste entier, qu’il s’agisse de trancher entre une Europe des nations ou une Europe confédérée, qu’il s’agisse de limiter les transferts de souveraineté de chaque pays vers l’Union européenne, qu’il s’agisse — nous le vivons aujourd’hui — d’intégrer les forces armées ou de fusionner les entreprises travaillant pour l’armement. Susceptibilités, querelles de procédures, pesanteurs historiques, influences lourdes des États-Unis, tout est sujet à remise en cause et à « relecture » des textes fondamentaux.
Les États-Unis, seule grande puissance aujourd’hui qui veut le rester et régenter le reste du monde, sortent à peine d’une crise politique interne grave, crise qui démontre la fragilité des institutions de ce pays puisque la destitution de son président peut être prononcée pour des motifs futiles. Toutefois, ce grand pays reste le seul capable de maîtriser les graves crises du monde d’aujourd’hui, qu’elles soient politiques (crises de l’ex-Yougoslavie et du Kosovo, processus de paix au Proche-Orient), économiques (crises asiatiques et sud-américaines) ou militaires (guerre du Golfe et relations entre l’ONU et l’Irak). On peut apprécier ou critiquer l’attitude de l’exécutif américain, on ne peut pas lui reprocher d’agir, même si les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur de ce qu’il recherche. Gendarmes du monde, les Américains sont et demeurent les maîtres à peine déguisés des grandes organisations internationales, ONU, Otan, FMI, OMC, Banque mondiale. À cause de cela, l’Europe unie — et l’euro — leur fait peur car elle pèsera lourd désormais dans l’économie mondiale.
La Russie est en pleine crise, à la fois politique et économique. Il faudra attendre la fin du règne de Boris Eltsine pour pouvoir prétendre établir des prévisions réalistes sur l’avenir de cet immense empire aux ressources humaines, énergétiques et industrielles considérables.
La Chine reste un point d’interrogation : le dynamisme économique de sa zone côtière (qui englobe quelque 200 millions d’habitants) est stupéfiant. Avec une croissance annuelle moyenne de 8 % depuis dix ans, c’est probablement — si ce rythme est maintenu — une des très grandes puissances mondiales du prochain millénaire.
Les autres nations du monde ne sont pas à négliger. Elles vivent aujourd’hui une crise dont on peut espérer que le plus dur est passé. Cependant, elles resteront à la remorque des puissances dont nous venons de parler, certaines d’entre elles émergeant plus rapidement à condition qu’aux ressources dont elles disposent déjà, elles ajoutent un régime politique fort, stable et non corrompu.
L’Europe a donc un rôle important à jouer sur la scène mondialeet cette année 1999, la dernière du XXe siècle, verra probablement de grandes transformations s’y opérer. Elles seront bénéfiques si les divergences de vue s’estompent entre les nations et que s’imposela volonté de poursuivre et de réaliser l’Union complète, politique, économique, monétaire et de sécurité. Elles seront dramatiques si le refus de la recherche d’une véritable Identité européenne l’emporte, car alors les pays européens, trop modestes individuellement, ne compteront plus beaucoup sur l’échiquier international.
Les crises balkaniques actuelles, au cœur même de notre continent, sont là pour nous le rappeler. D’autres crises aussi tragiques peuvent à nouveau éclater ici ou là. Ne serions-nous donc pas capables de les gérer et de les résoudre sans l’aide du « grand frère » américain ? Et devrions-nous laisser la barbarie l’emporter sur la sagesse, qui est le symbole de notre culture et de notre civilisation ?
Il nous appartient d’analyser, dans notre revue Défense Nationale, l’évolution de la situation et les changements en cours dans cette Europe toujours naissante et d’examiner leurs conséquences dans tous les domaines intéressant notre défense et celle de l’Europe.
Puisse la raison l’emporter pour que l’aube du XXIe siècle éteigne les derniers feux du siècle qui s’achève et dont l’histoire a trop ensanglanté notre pauvre humanité. ♦