L'auteur nous livre une synthèse des évènements qui se sont déroulés au Kosovo et qui ont abouti à un règlement du conflit, mais non pas à la solution du problème que pose cette province au sein de la république de Yougoslavie.
Le Kosovo entre la guerre et la paix
Premier signe annonciateur du processus de désintégration politique de la Fédération yougoslave créée par Tito, l’affaire du Kosovo a dégénéré au point de provoquer une intervention armée internationale en 1999. Menée par l’Otan pendant onze semaines consécutives, cette guerre semble d’ores et déjà devoir représenter dans les relations internationales contemporaines un événement plus ou moins comparable par sa portée à la guerre de Corée, la crise de Suez, la crise de Cuba ou la guerre du Golfe. Une telle affirmation peut être soutenue pour au moins trois raisons principales. D’abord, l’affaire a démontré que la gestion des conflits intra-étatiques (y compris ceux engendrés par l’ethno-nationalisme) peut cesser de relever de la quadrature du cercle dès lors qu’une coalition d’États décide sérieusement de marier la politique et la morale ainsi que la force et le droit. Ensuite, elle a confirmé (et de manière encore plus éclatante qu’en Bosnie) la pertinence de l’Otan dans le monde de l’après-guerre froide, c’est-à-dire la raison d’être d’une alliance politico-militaire tendant à assurer une fonction de stabilisation démocratique au sein de l’Europe postcommuniste et, en particulier, un rôle de gendarme dans la région turbulente des Balkans. Enfin, elle a révélé la profondeur du traumatisme narcissique affectant une superpuissance déchue mais résolue à revendiquer son rang par n’importe quel moyen, y compris par des prises de position favorables à un État ethno-nationaliste rejeté par l’ensemble de l’Europe ainsi que des gesticulations militaires aux franges de l’irresponsabilité politique ; ou, autrement dit, que la faiblesse de la Russie postcommuniste pourrait se révéler, pour la sécurité du continent, aussi inquiétante que l’avait été la puissance de l’ex-empire soviétique. En un mot, il ne paraît pas excessif de considérer l’affaire du Kosovo comme un tournant de l’après-guerre froide naissante. En vue d’éclairer la nature de celui-ci, on se propose d’analyser la problématique de cette affaire, les tentatives de règlement pacifique du conflit et les effets de l’intervention militaire de l’Otan.
La problématique de l'affaire du Kosovo
L’affaire du Kosovo débuta formellement en mars 1989 avec l’abolition, par la république de Serbie, de l’autonomie dont le territoire jouissait en vertu de la Constitution fédérale yougoslave de 1974. De par son statut de « province socialiste autonome », le Kosovo possédait (comme d’ailleurs la Voïvodine, région comprenant quelque 20 % de Hongrois) des compétences d’une étendue considérable qui lui permettaient la maîtrise pratiquement totale de ses affaires internes, sans passer par l’intermédiaire de la Serbie. Entité fédérale au même titre que les six républiques de la Fédération yougoslave, il bénéficiait en effet d’une Constitution particulière qui l’habilitait à disposer notamment d’organes exécutifs, législatifs et judiciaires propres ainsi qu’à régler tout conflit de compétence avec la Serbie au niveau direct de la Fédération. En un mot, hormis le droit formel de sécession, le Kosovo détenait des pouvoirs comparables à ceux des républiques fédérées. La Serbie étant l’unique république comportant des « provinces socialistes autonomes », les Serbes vécurent ce régime comme discriminatoire à leur égard. Ils l’interprétèrent dans l’optique de l’axiome implicite qui avait présidé à l’édification de la Fédération (« une Yougoslavie forte exige une Serbie politiquement amoindrie ») et poussé Tito à ériger la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine ainsi que le Monténégro en républiques à part entière.
Deux facteurs aggravaient, chez les Serbes, ce sentiment de frustration : la valeur symbolique émotionnelle du Kosovo et le spectre d’une sécession de celui-ci. Pour le peuple serbe, cette province n’était pas un territoire comme n’importe quel autre, mais une « terre sacrée et sainte », sa « Jérusalem ». Englobant la plaine de la Metohija, riche en monastères et autres vestiges religieux, le Kosovo constituait le berceau de l’Église orthodoxe serbe ainsi que la région où s’était développé le plus prestigieux des royaumes de la Serbie médiévale. Tout aussi significativement, il représentait le lieu de la bataille du champ des merles (Kosovo Polje) perdue en 1389 contre les Turcs, mais que les Serbes considéraient comme le symbole à la fois de leur héroïsme et du début de leur martyre séculaire. Quoique basée sur des faits historiques, cette vision n’en relevait pas moins aussi du fantasme. Ainsi, le royaume médiéval idéalisé par les Serbes n’avait pas été ethniquement homogène, mais un amalgame de Serbes, de Grecs, d’Albanais et d’autres peuples, soit un royaume multinational comme toutes les entités politiques de cette période historique. De surcroît, la bataille du champ des merles ne fut pas une confrontation bilatérale serbo-turque ; elle opposa les Turcs ottomans à une coalition de sept chefs balkaniques, dont deux Albanais (à l’époque où ceux-ci étaient alors chrétiens).
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