Une nouvelle carte d'intérêt militaire
Le Centre National de la Recherche Scientifique (C. N. R. S.) a pris l’initiative de dresser des Cartes botaniques de la France, afin de doter notre pays d’un instrument de travail qui manquait à l’économie nationale.
L’absence de telles cartes explique en partie les défauts de notre économie agricole, défauts qui se répercutent sur la productivité et sont une source de difficultés dans la concurrence mondiale. Au moment de l’établissement des grands plans économiques d’après guerre, les pouvoirs publics ont eu la désagréable surprise de constater qu’il n’existait pas, en France, le document cartographique botanique pouvant servir de base pour dresser, et chiffrer avec précision, les programmes de mise en valeur du sol ! Il a fallu, une fois de plus, improviser.
Le C. N. R. S. a, en conséquence, entrepris de doter notre pays de cette documentation cartographique. Il a créé un Service dont la mission est de dresser des cartes botaniques, les unes à l’échelle du 200.000, dites Cartes de la Végétation, les autres du 20.000, appelées Cartes des Groupements Végétaux. La carte au 200.000 (1) donne une vue d’ensemble de la distribution de la végétation. Celle au 20.000 (2) est une carte de grande précision de la mise en valeur ou de l’utilisation immédiate du sol : on peut y représenter lisiblement ce qui existe sur 400 m2.
La Carte des Groupements Végétaux repose sur le principe que les espèces végétales ne sont pas distribuées sans règle dans la nature ; elles sont réunies en groupements naturels, ordonnés, hiérarchisés, que les botanistes appellent associations. Ces groupements sont le miroir du milieu et chacun d’eux correspond à un milieu déterminé, identique sur toute la surface qu’il occupe, de telle sorte que dresser la Carte des Groupements Végétaux, c’est ipso facto établir le cadastre naturel des terres, c’est-à-dire la vocation et les propriétés des sols.
Cette Carte, entreprise avant tout pour les besoins de l’économie, a rapidement montré les services qu’elle peut rendre, à l’hygiéniste, aux juristes et aux financiers.
Nous envisagerons ici uniquement son intérêt militaire. On constate du premier coup d’œil que les Cartes des Groupements Végétaux mettent en relief, beaucoup plus nettement que les cartes topographiques, la diversité des terrains et leurs qualités. Elles intéressent donc les trois armées, mais surtout celles de Terre et de l’Air, car elles indiquent au commandement les possibilités du terrain et permettent en conséquence de fixer le mode d’exécution d’une opération tactique.
Leur mérite principal est de faciliter l’étude précise du terrain sous tous ses aspects. Elles donnent non seulement les renseignements que l’on trouve sur les cartes topographiques et géologiques, mais en plus ceux concernant la végétation : la carte d’un massif forestier, par exemple, fournit des indications précises, sur la topographie, la nature du sol dans ses différentes parties, sur l’absence ou la présence d’un sous-bois, sa nature (combustible ou incombustible) épineux ou non, dense ou lâche, etc…, sur les couloirs, qui, dans les futaies, peuvent constituer des lignes d’arrêt, sur les lieux d’atterrissages possibles pour hélicoptères ou de parachutages de troupes et de matériels, etc., en résumé, tous les détails d’un terrain et de la végétation qui les recouvre.
La nature du sol découle de la présence des divers groupements végétaux. Ceux-ci indiquent, par exemple, si les sols sont perméables ou imperméables, durs ou mous (chars), rocheux ou non, favorables ou défavorables à l’établissement de tranchées, éventuellement, le mode de tir d’artillerie à employer, quelle est la nature physico-chimique du sol (salé, calcaire, siliceux, argileux, humide, sec, etc.).
La nature de la végétation qui est précisée sur ces cartes détermine la qualité des champs de tir, les possibilités de camouflage, les cheminements favorables aux chars, le degré d’inflammabilité de la végétation, les facilités d’installation de bivouacs, les matériaux que l’on peut y trouver, etc…
Enfin ces cartes indiquent d’une façon particulièrement nette, le compartimentage du terrain si utile au commandement à tous les échelons et les possibilités de vie : habitabilité, ressources en eau, en bois, en aliments végétaux et animaux.
Il est nécessaire notamment de souligner l’importance des cartes des groupements végétaux pour les opérations aéroportées et de guérilla. L’échelle de ces cartes permet de fixer avec précision les points d’atterrissage et de parachutage sans être obligé de procéder à des reconnaissances qui attirent toujours l’attention de l’ennemi. Quant aux partisans ils ont besoin d’être renseignés avec précision sur toutes les ressources, militaires et économiques d’une région, car ils ne doivent souvent compter que sur eux-mêmes.
La Marine nationale trouvera sur ces cartes des renseignements détaillés sur la cartographie sous-marine de nos côtes et de nos ports, renseignements qui ont mis en évidence des phénomènes d’évolution de la végétation comparable à ceux observés dans la végétation littorale terrestre. On a aussi découvert des relations entre la végétation et l’envasement des ports.
Les cartes des Groupements Végétaux peuvent être adaptées étroitement aux besoins militaires. Il suffit que la légende soit rédigée plus spécialement en vue des préoccupations de la Défense nationale et que ces cartes soient complétées, le cas échéant, suivant les désirs des autorités militaires. Néanmoins, telles qu’elles se présentent, elles sont précieuses à tous les échelons du commandement car elles permettent d’éviter la « surprise du terrain. » ♦
(1) Directeur : M. le professeur Gaussen de Toulouse.
(2) Directeur : M. le professeur Emberger, de Montpellier.