De Gaulle, stratège nucléaire (mai 2009)
Le général de Gaulle n’a pas seulement fait passer la France du statut de puissance nucléaire « virtuelle » à celui de puissance nucléaire « opérationnelle ». Il est également le véritable père de la stratégie nucléaire française. Il a en effet réalisé une synthèse entre les différents courants et écoles de pensée qui se manifestaient à l’époque. Et sa vision, dans ce domaine, était beaucoup plus ouverte et pragmatique que celles qui étaient exprimées par les théoriciens français des années 60 tels que les généraux Ailleret, Beaufre, Gallois et Poirier.
Construite parallèlement à l’édification de la force de dissuasion, la stratégie nucléaire française s’est ordonnée autour des notions de « dissuasion du faible au fort » et de « pouvoir égalisateur de l’atome ». Ces formulations décrivaient des concepts développés dans les cercles transatlantiques depuis 1945 (1). L’idée consistait à dire que l’arme nucléaire changeait les termes de l’équation de la puissance. Un petit pays pouvait parfaitement dissuader un grand pays de l’agresser à partir du moment où il disposait des moyens de lui infliger des dommages au moins équivalents à l’enjeu du conflit. La dissuasion devait ainsi être proportionnée à l’enjeu. Cette idée avait été très tôt assimilée par de Gaulle : « Je vois, il suffit d’arracher un bras à l’agresseur », disait-il dès avril 1956, après une longue conversation avec le colonel Pierre-Marie Gallois (alors en poste à l’Otan) venu lui expliquer la stratégie nucléaire de l’Alliance atlantique (2). En 1962, il déclarait : « La question n’est pas de se hisser au même niveau que celui d’en face. La question est de représenter une capacité de représailles suffisante pour le faire renoncer à l’agression. La dissuasion commence dès qu’on a la possibilité de tuer assez de gens chez l’agresseur pour qu’il soit persuadé que le jeu n’en vaut pas la chandelle » (3).
C’est dans sa conférence de presse du 23 juillet 1964 qu’il résume le mieux sa pensée : « La carrière de la dissuasion nous est donc désormais ouverte. Car le fait d’attaquer la France équivaudrait, pour qui que ce soit, à subir lui-même des destructions épouvantables. Sans doute les mégatonnes que nous pourrions lancer n’égaleraient pas en nombre celles qu’Américains et Russes sont en mesure de déchaîner. Mais, à partir d’une certaine capacité nucléaire et pour ce qui concerne la défense directe de chacun, la proportion des moyens respectifs n’a plus de valeur absolue. En effet, puisqu’un homme et un pays ne peuvent mourir qu’une fois, la dissuasion existe dès lors qu’on a de quoi blesser à mort son éventuel agresseur, qu’on y est très résolu et que lui-même en est bien convaincu » (4).
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