Aperçus sur la bombe atomique (octobre 1945)
La bombe atomique a éclaté, dans le ciel nippon, — et aussi dans l’histoire même de la guerre, — comme un engin entièrement nouveau. Quelques remarques préliminaires s’imposent cependant à son sujet.
D’abord, il est bien peu vraisemblable que, dans l’avenir, le secret de la bombe atomique restera l’apanage d’une seule nation, à savoir des États-Unis, qui le détiennent en ce moment. Il est probable au contraire que tous les peuples travailleront intensément la question, lançant leurs savants et leurs inventeurs sur cette piste et consacrant à cette recherche des crédits très élevés. On est donc en droit de penser que tout le monde ou presque, au moins les États possédant un potentiel scientifique, industriel et financier assez développé sauront et pourront confectionner des bombes atomiques, et que cette fabrication passera assez vite dans un domaine relativement public. En conséquence, la nation qui a trouvé à l’origine la recette de mise au point de l’outil n’obtiendra, de ce fait, qu’un avantage essentiellement passager et éphémère. Elle ne détiendra aucun monopole indéfini à cet égard et il n’en résultera pas pour elle la possibilité permanente, au choix, ou bien d’exercer sur le monde une hégémonie totale, ou bien de faire régner sur lui une paix dominatrice analogue à la pax romana de jadis (1).
La nation faible, tout autant que la nation forte, possédera des bombes atomiques, en moindre quantité peut-être, mais cette considération de nombre pèse peu quand il s’agit d’engins de puissance individuelle aussi grande. Et la nation forte ne pourra éviter les coups de cette arme, parce qu’ils sont portés par voie aérienne et qu’il n’y a pas, dans l’air comme sur terre, de front imperméable garantissant des coups des armes ennemies le territoire situé derrière lui et en dehors de la zone de combat proprement dite. Vérité déjà constatée à propos des bombardements aériens ordinaires. Le parti le plus faible peut toujours effectuer furtivement de tels bombardements, dont aucune supériorité aérienne (la maîtrise aérienne totale n’existant pas) ne peut préserver totalement son adversaire. C’est encore plus vrai du bombardement atomique, où il suffit d’une action aérienne très fugitive et de peu d’ampleur, ne mettant en jeu, au pis qu’un seul appareil. Rien n’empêchera jamais la puissance inférieure d’accomplir de telles opérations.
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