Guerre et suicide (novembre 1972)
Les événements récents concernant les otages ont horrifié et l’horreur empêche de penser ; la pensée est un phénomène froid et qui implique un détachement. Je voudrais proposer quelques « pensées » sur ces tragédies en les rattachant à une explication plus haute : en rapprochant ce phénomène-otage du phénomène-atome, guerre atomique. Car ce sont deux cas particuliers (et jusqu’ici indépendants pour le bien de l’humanité) d’une technique aussi vieille que l’homme : la dissuasion.
Qu’est-ce au fond que dissuader, sinon menacer afin que la seule menace, en excitant chez l’autre la crainte, vous permette d’obtenir sans agir ? La menace suffit. Et l’on pourrait ici trouver la définition suprême de l’arme, qui est d’être un instrument dont on évite l’emploi. Déployer la force pour en éviter l’emploi ! Ce n’est pas un paradoxe de dire que l’armement agit par la menace de son usage, — de là sans doute les uniformes, les crinières, les tambours, la fumée, les ultimatums et tous les rites de guerre. L’homme est un belliqueux pacifique et qui aspire à se contenter de l’apparence. Tel a été le mécanisme de la peur, de l’art de faire peur d’homme à homme, sans doute le premier des arts de politique extérieure.
Mais ici, comme en d’autres domaines, l’époque présente apporte des données entièrement neuves, en ce sens que la technique a trouvé l’arme paradoxale, l’arme qui supprime l’arme ; car elle peut détruire non seulement l’adversaire, mais avec l’adversaire l’assaillant, et avec les deux, toute la terre habitée. Dès lors le problème de savoir si on usera ou non de cette arme se simplifie et surtout il change d’échelle et d’ordre de valeur. Au lieu d’être un problème de technique, il devient un problème de morale ; et un des caractères de la stratégie présente de la dissuasion est qu’elle débouche dans une « métastratégie » qui est morale.
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