Appel à l'imagination
La défaite de 1940 a son origine moins dans notre infériorité du moment en moyens matériels que dans une éclipse de la pensée militaire française durant les vingt années qui se sont écoulées entre les deux conflits mondiaux. Cela ne fait plus de doute aujourd’hui. Et, usant d’une de ces boutades à succès qui créent malheureusement les légendes tenaces, nombreux sont les critiques qui vont répétant que les militaires n’ont jamais su que préparer la précédente guerre.
Cependant la pensée militaire française peut s’enorgueillir de grands noms et de l’autorité qu’à certaines époques elle a incontestablement exercée. Elle ne fut point, certes, exempte d’erreurs, dont plusieurs nous furent fatales, mais l’erreur est humaine et l’on doit reconnaître que les revers subis aiguillonnèrent les esprits et renouvelèrent leurs efforts créateurs.
Ces efforts qui, dans leur développement, en appelaient à l’imagination, visaient à la découverte de moyens et de procédés nouveaux, capables de produire sur l’adversaire éventuel un effet matériel ou moral inattendu, générateur du succès. Au cours de leurs travaux, certains esprits crurent discerner dans le comportement stratégique et tactique des adversaires en présence, à des périodes différentes de l’Histoire, de frappantes analogies. Ils les mirent en relief puis les présentèrent comme des principes généraux, immuables dans le temps et applicables à toutes les situations. L’infaillibilité prétendue de ces dogmes — dès lors imposés et enseignés comme tels — devait conduire à les utiliser sous une forme rigide, en négligeant par trop l’adversaire qui possède cependant, lui aussi, une pensée et une liberté d’action propres. Cela nous valut, en 1914, le Plan XVII et Charleroi. Cette première leçon se perdit dans l’enivrement de la Marne puis dans la longue période de stabilisation qui suivit. La croissance de la puissance des moyens matériels de 1914 à 1918 impressionna la plupart des penseurs et des écrivains militaires entre les deux guerres et les empêcha de se libérer d’une stratégie où régnaient les fronts continus, soi-disant inviolables et les actions de force limitées et alternées ; stratégie qui, dans sa rigidité, dans sa forme considérée comme scientifique, devait garantir la sécurité, écarter l’aventure. Le goût du risque et des solutions hardies s’effaça devant la culture systématique d’un esprit de méthode tenu pour « cartésien » et considéré comme indispensable à la conduite de la guerre moderne. On n’accorda dès lors que peu de liberté à l’imagination, suspecte de conduire au roman et de faire décerner à ses disciples la redoutable épithète de fantaisistes. Un scepticisme, ou du moins une réserve, de bon aloi, fut de mise devant toute proposition ou suggestion vraiment originale. L’enseignement supérieur devait en perdre l’enthousiasme et prendre un tour didactique et pesant, propre à décourager chercheurs et novateurs. La stratégie figée, la « stratégie de maçons » — ainsi que l’a qualifiée un esprit rebelle — demeura la base des réflexions, des travaux et des plans.
Il reste 83 % de l'article à lire