En Méditerranée avec le Pentagone
On se souvient sans doute qu’au mois de mai 1952 un certain document a fort défrayé la chronique et provoqué un gros émoi. Il s’agissait d’un rapport rédigé, paraît-il, par l’amiral Fechteler, chef du bureau des opérations de la marine américaine, adressé au National Security Council, l’équivalent aux États-Unis de notre Conseil de Défense nationale, et traitant de la conduite des opérations en Europe dans une future guerre. Écrit, à ce que l’on disait, en janvier 1952, envoyé le 18 janvier à son destinataire, il aurait même été intercepté par les services de documentation britanniques et transmis le 24 janvier au premier lord de l’Amirauté. En France, il entrait dans le domaine public par un compte rendu paru le 16 février dans le périodique Information et conjoncture et par le texte donné à peu près in extenso par le journal Le Monde dans son numéro du 10 mai. On a tout aussitôt mis en doute l’authenticité du document et l’identité de son signataire. Les démentis ont jailli. Pas très convaincants d’ailleurs. Il était, en effet, difficile aux Américains de reconnaître qu’une de leurs pièces secrètes se promenait ainsi sur le Forum, et il était assez gênant pour les Anglais d’avouer qu’ils l’avaient saisie au vol dès son élaboration. Nos amis étaient un peu ennuyés…
Nous n’avons, bien entendu, ni le temps ni les moyens de trancher ici cette controverse périmée, et nous nous limiterons à deux aspects majeurs de la question. D’abord nous rappellerons — ce qui a déjà été fait — que le texte publié était la reproduction presque littérale d’un article écrit en septembre 1950 dans la grande revue maritime américaine U. S. Naval Institute Proceedings par un auteur estimé, le commander Talerico, sous le titre Sea of decision (la mer de la décision), étiquette qui, appliquée à la Méditerranée, est singulièrement représentative de la thèse soutenue. Le commander Talerico appartenant à l’époque à l’état-major de la General Line School et ayant été ultérieurement affecté au bureau des opérations de la marine américaine, il y a toutes raisons de penser que, vrai ou apocryphe, le texte, de ce que nous appellerons, faute de mieux, le « rapport Fechteler », reflète à peu près exactement l’opinion des milieux militaires élevés des États-Unis quant au problème en cause.
En outre, il nous paraît que ce qui fait la valeur véritable de ce « papier », valeur permanente au demeurant, ce sont les idées qu’il émet et la doctrine qu’il contient à l’égard d’un cas concret déterminé, à savoir la conduite de la guerre en Méditerranée dans un hypothétique conflit futur. Et c’est à l’examen de ces idées et de cette doctrine que nous procéderons dans ce qui suit.
Il reste 89 % de l'article à lire