La notion d'équilibre des forces militaires a-t-elle un sens ? C'est une question primordiale à l'époque d'accords soviéto-américains sur les armements nucléaires stratégiques. Son importance prend toute sa valeur quand on constate l'asymétrie fondamentale des situations géostratégiques des deux super-puissances, ainsi que les différences tout aussi fondamentales qui séparent les mentalités de leurs dirigeants et les tendances latentes de leurs esprits formés par des éducations et des doctrines philosophiques ou religieuses en complète opposition.
Les horizons de la compétition stratégique soviéto-américaine
On entend aujourd’hui dire tout et son contraire sur l’évolution du rapport des forces militaires dans le monde, tel qu’il apparaît aujourd’hui et tel qu’il sera au milieu des années 80 ou à la fin du millénaire. Aux déclarations alarmistes de M. Henry Kissinger au Congrès américain puis à Bruxelles, ont succédé des prises de position soviétiques tendant à faire porter aux États-Unis la responsabilité d’une violation unilatérale du principe de parité stratégique reconnu dans SALT par la multiplication de programmes stratégiques profondément déstabilisants ou par les initiatives visant à moderniser les forces du théâtre européen ou par les facilités recherchées par la flotte américaine dans l’océan Indien. Le résultat est que les pays européens nourrissent des doutes quant à la valeur des arguments qui leur sont présentés de part et d’autre, et que certains de leurs dirigeants ne voient plus de salut que dans le maintien d’un dialogue avec Moscou permettant de stabiliser à tous les niveaux le rapport des forces pour éviter une course dangereuse aux armements et préserver les acquis concrets de la détente. En même temps, certains dirigeants communistes des pays du Pacte ou des Partis occidentaux déclarent sans fard que la « corrélation des forces » apparaît clairement en faveur du socialisme. On peut penser qu’il s’agit aussi, entre autres, du rapport de force militaire.
Au demeurant, au moment où ces lignes sont écrites (*), tout le monde est sous l’impression – surtout dans le Tiers Monde arabe – qu’il y a une différence plus que symbolique entre l’efficacité des actions entreprises par les États-Unis (affaire de Tabas [NDLR 2024 : Iran, opération Eagle Claw]) et par l’URSS. Or, comme en matière de politique les choix sont souvent dictés par l’intuition et le jeu des perceptions réciproques, il importe de tenter de mesurer l’exactitude des craintes que l’on peut nourrir sur la détérioration du rapport stratégique au détriment de l’Ouest.
En la matière, un simple alignement des chiffres caractérisant les potentiels militaires ne signifierait rien s’il n’était complété – c’est-à-dire revu – à la lumière des asymétries fondamentales qui caractérisent les positions géostratégiques, les doctrines politiques et militaires, les réflexes respectifs de l’Union Soviétique et des États-Unis. C’est donc dire que le concept – au sens matériel – de parité ou d’égalité stratégique ne signifie rien, en ce sens qu’il peut avoir des conséquences différentes selon que l’on se situe dans la perspective de sociétés démocratiques et libérales ou de sociétés collectivistes et centralisées.
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