La nouvelle Judéophobie
Depuis le commencement de la nouvelle guerre d’Israël, en octobre 2000, les articles et les livres sur la virulence de l’antisémitisme antisioniste se sont multipliés. Notamment Sous le signe de Sion de Raphaël Draï (sous-titré : « L’anti-sémitisme nouveau est arrivé ») (1), La faute des Juifs de Guy Konopnicki (2), Le nouveau bréviaire de la haine de Gilles William Goldnadel (sous-titré : « Antisionisme et antisémitisme ») (3), Nouveaux visages de l’antisémitisme (sous-titré : « Haine passion ou haine historique ») (4) par un collectif d’auteurs, etc.
Il est significatif que le mot « nouveau » soit le dénominateur commun de tous ces ouvrages, en même temps qu’est affirmée la nature de cette nouveauté par la référence au vieil antisémitisme. Quelle est cette nature ? En quoi réside sa nouveauté ?
Les réponses précises à cette double interrogation sont apportées par le dernier livre de Pierre-André Taguieff, le politologue spécialiste du racisme anti-juif, dont le titre est évidemment de la même veine que ceux que nous venons d’évoquer : La nouvelle judéophobie.
Les objectifs de l’islamisme.
La nouveauté réside dans le fait qu’un mouvement idéologique, politique et militaire anime, enflamme et radicalise le monde de l’islam, l’islamisme, dont l’ambition de domination mondiale ne se cache pas. De nombreux islamistes ont clairement formulé leur programme, tel l’un de leurs célèbres théoriciens, Sayyid Qutb, dès 1964, il faut le souligner : « Lorsque l’islam entreprend, de manière générale, d’établir la domination d’Allah sur la terre et de libérer l’humanité du culte d’autres créatures, il est contesté par ceux qui ont usurpé la souveraineté d’Allah sur la terre. (…) L’islam procède donc à leur destruction afin de libérer les hommes de leur pouvoir. (…) Le combat libérateur du Djihad ne prendra pas fin tant que la religion d’Allah ne sera pas la seule ».
Or, dans le cadre de cette vision à l’échelle mondiale, Israël a été pris pour cible principale et première de la visée islamiste, car il est coupable du péché suprême : il a restauré sur une parcelle du dar al harb une souveraineté non-musulmane. Rien d’autre ne saurait donc satisfaire le « fascisme vert » (un vocable que Taguieff n’utilise pas) que la destruction pure et simple de l’État juif.
Cette vision d’une solution finale de la question israélienne explique que la judéophobie islamiste ait repris à son compte toutes les formes d’antisémitisme pratiquées par les gauches, les extrême-droites, les négationnistes, les tiers-mondismes. Leurs arguments, leur langage, leurs mensonges sont instrumentalisés, et on y a ajouté une judéophobie particulière puisée aux sources religieuses musulmanes. Toutes les accusations mythiques, fantasmées des antisémitismes classiques sont retournées contre Israël et contre le sionisme, avec une virulence qui rejoint celle des nazis. On en voit les effets dans les banlieues parisiennes. La tolérance, l’indulgence, l’indifférence, l’impunité dont y bénéficient les « jeunes » qui incendient des synagogues et agressent les porteurs de kippa, sont à l’image de la tolérance accordée par l’Europe aux « bombes vivantes » palestiniennes qui se font sauter au milieu des supermarchés de Jérusalem.
Avec ou contre les loups ?
Le 11 septembre 2001 a révélé, à Manhattan, une réalité que Pierre-André Taguieff explicite dans son ouvrage, mais que les opinions publiques n’ont pas pleinement réalisée : la nouvelle judéophobie est une facette de la menace qui pèse sur toute l’humanité. Cependant, l’humanité est à tel point imprégnée par sa bimillénaire réprobation des Juifs, qu’elle reste aveugle à cette évidence. Elle reporte elle aussi sa vieille réprobation sur l’État juif, et, croyant se protéger des loups, hurle avec eux. Le livre de Taguieff enseigne que la meute ne distingue pas entre les « bons » et les « mauvais », même si elle se sert des antisémites et des judéophobes contre les Juifs. Un islamisme victorieux dévorera ses « bons » auxiliaires ensemble avec les « mauvais » Juifs. L’exposé est d’une clarté sans compromis avec les prudences des commentateurs figés dans les schémas théoriques, et souvent inapplicables, de la géopolitique.
Par deux de ses aspects apparemment mineurs, puisque techniques, le livre de Pierre-André Taguieff comble le lecteur au-delà de ses légitimes attentes :
– les citations des textes islamistes, des négationnistes, des palestinophiles et des israélophobes sont exactement celles qu’il faut ;
– les notes abondantes, parfois aussi longues que les textes dont elles indiquent les sources, constituent par elles-mêmes une lecture passionnante. Elles ne se bornent pas à indiquer les sources, elles citent des « sources de sources », et par des textes additionnels, braquent un éclairage encore plus puissant sur tel détail du discours, dont cet éclairage révèle l’importance non premièrement avérée. ♦
(1) Éditions Michallon, 2001.
(2) Balland, 2002.
(3) Ramsay, 2001.
(4) NM7 Éditions, 2001.