D’après l’intervention de M. Amre Moussa, secrétaire général de la Ligue des États arabes, à la chambre de Commerce franco-arabe, à Paris, le 3 juin 2002. L’effondrement des chances de paix au Proche-Orient suscite de graves inquiétudes dans le monde arabe, mais aussi en Europe. La sécurité, la stabilité et le développement des deux ensembles sont si imbriqués que l’on peut parler de « région euro-arabe ». Seule la paix peut protéger cette région autour de la Méditerranée des menaces qui se profilent. Le plan de paix adoptée par l'ensemble des pays arabes au Sommet de Beyrouth en mars 2002, a été rejeté par Israël qui défie toute légalité internationale. Un rôle plus déterminé de l’Europe au Proche-Orient est vital pour l’Europe comme pour le monde arabe.
Les relations arabo-européennes
Les relations arabo-européennes et l’évolution de la situation au Proche-Orient sont aussi vitales pour les pays arabes que pour l’Europe, compte tenu de leurs répercussions connues sur la sécurité et la stabilité, mais aussi sur le progrès et le développement dans cette région vaste et sensible du monde. Nous voulons parler ici de la région Euro-arabe, surtout dans la période dangereuse et délicate que traverse la situation internationale avec l’effondrement réel des chances de paix au Proche-Orient, qui s’ajoute aux dangers concernant la question de l’Irak et aux autres problèmes actuels, lesquels s’ils ne sont pas traités avec sagesse et équilibre, et rapidement, peuvent conduire à l’embrasement de tout le Proche-Orient.
Nous sommes confrontés à un véritable dilemme en ce qui concerne les chances de paix entre Arabes et Israéliens en raison d’une vérité fondamentale, c’est que l’une des deux parties du conflit — Israël — a réussi à créer une situation inédite dans l’histoire des relations internationales : se placer au-dessus de la loi sans compte à rendre, quels que soient les crimes de sa politique et les écarts de ses pratiques au regard du droit international et des droits de l’homme. C’est une affaire très grave qui suscite nombre de doutes légitimes sur la réalité de l’ordre international en vigueur, pour savoir s’il est fondé sur des principes de droit qui doivent être respectés de tous, ou si le monde est gouverné par la force et les intérêts qui en découlent dans un « système de deux poids et deux mesures », et en l’absence de sagesse et d’objectivité. Car s’il en est ainsi, et il en est ainsi dans le cas d’Israël qui pratique une occupation militaire, hors la loi, non moins néfaste et satanique que le terrorisme international qui est également hors la loi, et qui la défie.
Les Arabes ont pris une position collective ferme en adoptant au sommet de la Ligue arabe à Beyrouth, en mars 2002, une initiative de paix appelant à un règlement équilibré qui aboutirait au retrait israélien total, à la création d’un État palestinien viable et à l’établissement de relations ordinaires et d’une paix véritable. Comme vous le savez, la réponse israélienne était et demeure négative, rejetant la paix globale et équitable et insistant sur de simples mesures en conformité avec ses ambitions, brisant les espoirs du peuple palestinien.
Israël, sous le gouvernement de l’extrême droite, ne veut aujourd’hui qu’une apparence de paix qui couvrirait l’occupation et la consacrerait ; une forme d’accord qui assurerait l’annulation de toute chance de solution aboutissant à un État palestinien véritable. Il est prêt, pour cela, à aller le plus loin possible. Et pourquoi pas ? Puisqu’il jouit d’une immunité contre l’application de la loi qui s’applique aux autres, contre les principes de la Charte des Nations unies que tous doivent appliquer, à l’exception d’Israël. Pourquoi pas ? Dès lors que le Conseil de sécurité est incapable de traiter avec lui ; l’annulation de la Commission d’établissement des faits sur les tueries de Jénine, créée par une résolution unanime du Conseil de sécurité, n’étant qu’un dernier exemple.
Les conditions d’une réunion internationale
La situation est très grave. Dès lors, la tenue d’une conférence ou d’une réunion internationale dans ces circonstances est une aventure qui pourrait conduire à des résultats indésirables, à moins qu’Israël ne se retire jusqu’aux lignes de septembre 2000, en levant le siège et l’occupation des villes et des villages palestiniens pour qu’un cessez-le-feu global soit instauré préparant les conditions d’une telle réunion. Il faut également qu’il y ait accord sur un ordre du jour complet et sur la participation de toutes les parties, outre une préparation sérieuse des résultats auxquels doit aboutir la conférence ou la réunion, et qui doivent être fondés sur le principe de l’échange des territoires contre la paix, avec des garanties d’application et l’établissement d’un calendrier qui mènerait à une solution globale. Une conférence qui se tiendrait sans une bonne préparation et qui ne réaliserait pas les droits inaliénables des parties, conformément aux résolutions de la légalité internationale, ne serait qu’une réunion de relations publiques plus nuisible qu’utile. Elle ne serait qu’une manœuvre qui pourrait conduire à une situation plus détériorée, avec un retour à la violence et à l’affrontement, ce que nul d’entre nous ne souhaite.
Il m’importe de dire ici que l’hostilité entre les peuples arabes et Israël n’est pas un fait absolu, ni une fatalité à laquelle on ne peut échapper… Il existe une possibilité effective de coexistence et de tolérance, si l’on parvient à une paix juste, si l’institution israélienne dominante au pouvoir renonce à ses ambitions ; en voyant les choses non comme elle les voit aujourd’hui, où Israël jouit d’une situation exceptionnelle, nécessairement éphémère, mais en ayant une vision d’avenir d’un Israël vivant en paix, avec des frontières ouvertes et en bonne intelligence avec ses voisins. Cette situation serait dans la nature des choses et établirait la sécurité en garantissant sa pérennité concrétisant, encore une fois, l’initiative lancée par le Sommet arabe de Beyrouth récemment.
La « région euro-arabe »
Ce que nous appelons « région Euro-arabe », formulée ci-dessus, est la région méditerranéenne autour de laquelle vivent les pays européens et les pays arabes, formant ensemble l’environnement de cette région et la majorité de ses habitants.
Cette région est directement menacée par le conflit arabo-israélien. Lorsque l’Europe évoque la sécurité européenne, celle-ci comprend la sécurité de la Méditerranée, aussi faut-il voir la sécurité arabe et celle de la Méditerranée comme un fondement nécessaire pour maintenir la sécurité européenne. Seule la paix juste peut assurer la stabilité en Europe et toute tentative de consacrer la situation actuelle au Proche-Orient, d’une façon ou d’une autre, nuirait aux exigences de la sécurité européenne ou arabe et l’affecterait. Seule la paix juste est en mesure de réaliser la stabilité à l’Est et au Sud de la Méditerranée, accompagnée du développement économique, qui correspond à plusieurs problèmes posés en Europe actuellement. En outre l’établissement d’une région exempte de toute arme de destruction massive au Proche-Orient serait un facteur de sécurité, diminuant les tensions tout autour de la Méditerranée, y compris dans les Balkans et dans d’autres régions européennes limitrophes, voire au-delà.
Ainsi, lorsque nous évoquons la paix, la sécurité et la stabilité au Proche-Orient, nous les évoquons dans le même temps en Méditerranée, un des axes centraux de stabilité et de sécurité européennes.
C’est pourquoi nous appelons à une position européenne plus ferme et plus déterminée. Le rôle européen dans la paix n’est pas celui du curieux ou du généreux, mais celui du concerné et du menacé par les conséquences de la détérioration de la situation dans cette région. Dès lors, se contenter de communiqués apaisants ou de seconds rôles sur la base du plus petit dénominateur commun, n’est pas productif. Figurer sur les images de la télévision comme un associé aux efforts de paix, sans que cela ne se traduise par un rôle effectif dans le traitement des problèmes de fond, affectera et commence à affecter la crédibilité d’un rôle européen dans le conflit du Proche-Orient, ou dans ce que l’on appelle encore le processus de paix au Proche-Orient.
L’environnement international
Le monde connaît aujourd’hui des développements politiques dangereux dont nous venons d’évoquer certains, mais on en perçoit de nouveaux actuellement avec la situation entre l’Inde et le Pakistan, comme d’autres tensions semblables dans diverses régions, car la nature de la situation mondiale destructurée conduit à cela. On observe en effet des changements considérables dans les domaines socio-économique et culturel au niveau international ; des idées empoisonnées et des pratiques regrettables, liées à des théories erronées sur le choc des civilisations, aux développements liés à la mondialisation qui n’est pas tout à fait à l’avantage des pays en développement, sans oublier les effets considérables de la révolution des technologies de l’information et de la communication, ainsi que le renforcement du rôle des grands ensembles économiques, l’interdépendance des marchés et la dépendance à l’égard des mécanismes du marché.
En réalité, ces évolutions ne sont pas toutes nécessairement négatives, mais elles lancent de nombreux défis et risques, donnant lieu à des crises aux effets mondiaux, qui se propagent rapidement comme nous l’avons vu à l’occasion de la crise asiatique, de certaines crises dans les pays d’Amérique latine et enfin après les événements du 11 septembre.
Les pays arabes tentent de suivre ces changements pour agir en conséquence en profitant des occasions offertes et limitant les risques qui les accompagnent. Cela requiert, de notre part, davantage d’action consciente s’appuyant sur des études pratiques en vue de sauvegarder, voire de propulser et d’accroître nos intérêts communs. Nous pensons en particulier au Partenariat euro-méditerranéen que certains pays arabes observent dans l’espoir de réaliser le développement commun des pays de la région, et ce en dépit du fait que le bilan de ce Partenariat, dans les différents domaines, n’a pas atteint jusque-là le niveau de nos prévisions ou de nos ambitions.
Les pays arabes, conscients des effets de l’importance des regroupements économiques au niveau international, tels le Nafta en Amérique du Nord, le Mercosur en Amérique latine et l’Asean en Asie du Sud-Est, ainsi que des réussites de l’Union européenne que vous connaissez et vivez ici, ont commencé à agir pour réaliser le développement nécessaire afin que le monde arabe soit perçu comme une entité économique régionale effective. Les pays arabes pourront sauvegarder leurs intérêts propres dans les circonstances internationales défavorables actuelles dès lors qu’ils auront compris que la création d’un intérêt arabe commun et le renforcement de ses bases permettront l’établissement de cette entité régionale arabe et sa protection.
Dans ce domaine, la Ligue des États arabes accorde une grande importance aux chambres de commerce communes, convaincue du rôle qu’elles peuvent jouer dans le renforcement des relations commerciales et économiques, comme de l’amitié entre les pays arabes et les pays-hôtes de ces chambres. Elle tient à suivre leurs activités et à les soutenir au profit des intérêts communs arabes et étrangers.
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Le Conseil économique et social arabe — centre de l’action économique commune au sein de la Ligue arabe — suit les activités de ces chambres qu’il tient à soutenir en évaluant leur rôle pour davantage d’efficacité dans le développement des relations économiques, voire sociales et culturelles, entre les pays arabes et les pays-hôtes de ces chambres, en vue de réaliser nos intérêts communs en fonction des changements internationaux et régionaux.
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Tout comme nous avons évoqué l’importance de développer le rôle des chambres de commerce communes, il me faut signaler également les efforts de réforme et d’évolution que nous entreprenons, car nous accordons une très grande importance à l’avancement de l’action économique arabe commune même si le bilan n’atteint pas le niveau des ambitions de nos peuples. Cependant, la situation n’est pas totalement sombre, car la Grande Zone arabe de libre-échange est entrée dans sa cinquième année d’application en janvier dernier et les pays arabes ont déjà diminué de 50 % les droits de douane et les taxes entre eux. De même, les échanges commerciaux inter-arabes commencent à augmenter, même s’ils demeurent proportionnellement en-deçà de nos espérances.
Aussi, le Sommet arabe a-t-il décidé, il y a un peu plus d’un an, de revoir complètement l’organisation de l’action commune, en insistant sur la nécessité de revoir ses structures en vue de les adapter aux exigences modernes. Nous avons commencé à réformer et à restructurer le Secrétariat général de la Ligue arabe et avons accompli plusieurs pas dans cette direction afin qu’il soit doté d’une base solide de compétences et d’expertises, ainsi que d’une organisation moderne utilisant les technologies informatiques, avec des jeunes vivant dans leur époque et contribuant avec enthousiasme et dévouement au travail commun.
La prochaine étape sera l’évolution de la structure du Conseil économique et social, ce qu’il faut moderniser et animer au plus vite ; car la situation socio-économique arabe en général est un des points faibles graves que nous devons reconnaître, comme nous devons reconnaître le peu que nous avons fait pour y remédier jusque-là. Si l’on avait pu assurer l’efficacité de l’action arabe dans ces domaines auparavant, nous serions dans une autre situation. Nous devons aujourd’hui la transformer en une capacité à créer et renforcer l’intérêt commun réel entre les sociétés arabes, profitant de la tendance mondiale à se projeter dans de vastes horizons de progrès. Il ne faut pas que nous rations ce train.
Nous avons proposé aux gouvernements arabes, lors du Sommet de Beyrouth et avant cela dans le cadre des réunions des ministres des Affaires étrangères arabes, un plan de restructuration du Conseil économique et social, prévoyant notamment qu’il se réunisse au niveau des chefs de gouvernements afin de donner les orientations nécessaires et d’exercer la direction réelle de l’action économique et sociale arabe commune… Nous affirmons que cette organisation ne pourra se réaliser sans la contribution des groupements d’hommes d’affaires, des chambres de commerce, des unions professionnelles et des organisations de la société civile. Nous sommes convaincus qu’un avenir radieux est devant nous si nous montrons de la détermination et si nous améliorons le travail, ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui.
Nous vivons une époque pleine de dérapages graves, de virages irréguliers et de montée de politiques agressives, de pratiques égoïstes et de considérations fondées sur le « système des deux poids, deux mesures », tant aux plans de la politique et de la sécurité que dans le cadre des relations économiques, ou dans l’application et le respect des droits de l’homme… ; mais l’espoir d’un avenir meilleur continue de nous caresser et de vivre avec nous.
Au lieu de laisser le désespoir dominer nos politiques, je vous appelle à œuvrer ensemble afin de transformer nos espoirs en réalités et nos appréhensions en mauvais souvenirs. ♦