Extraits de l’allocution aux armées du général d’armée Henri Bentégeat, chef d’état-major des armées, à Paris, le 27 mai 2005, présentant la réforme du ministère de la Défense après la promulgation des décrets n° 2005-506 du 19 mai 2005 et 2005-520 du 21 mai 2005.
La réforme du ministère de la Défense
…
L’organisation centrale de notre ministère autour du ministre de la Défense est bouleversée par les décrets du mois de mai 2005 qui remplacent ceux de 1962, de 1982 et bientôt de 1995.
Aussi est-il de ma responsabilité de vous présenter cette réforme…
Je tiens d’abord à saluer la présence parmi nous ici de vos chefs d’états-majors qui marque l’esprit consensuel de cette réforme.
… qui est l’aboutissement de deux années de pratique collégiale et de deux années de préparation de la mise en œuvre de la nouvelle procédure budgétaire de la Lolf…
Les raisons de cette réforme
Cohérence opérationnelle
La première est de placer l’opérationnel au centre des priorités de ce ministère. Comme vous le savez, le Cema est responsable des opérations depuis 1953. Il est le garant de l’aptitude de nos armées à remplir leur mission fondamentale. Aussi, je crois qu’il était devenu très important que les grands choix de formats et d’équipements ne soient plus effectués par simple comparaison avec ce qui se fait dans des armées équivalentes alliées — comme cela a souvent été le cas par le passé — mais qu’ils procèdent d’une vraie analyse capacitaire, partant des besoins de défense et de sécurité de notre pays.
Aujourd’hui, en opérations, l’interarmées est la règle. C’est donc bien à partir de capacités transverses que l’on peut établir les besoins réels du champ de bataille. On ne peut plus accepter, chaque fois que le budget est insuffisant — c’est-à-dire chaque année — de procéder à des coupes homothétiques par armées, en tentant de respecter la part de chacun dans son enveloppe, sans tenir compte des besoins capacitaires quelquefois impératifs, souvent urgents. D’une manière générale, pour donner une vraie priorité à l’opérationnel dans tous les domaines, il est indispensable d’aborder ces problèmes de manière transverse.
Cohésion des armées
Deuxième raison, renforcer la place des armées à l’intérieur du ministère en améliorant leur cohésion. Ce ministère, et je le répète chaque fois que j’ai des réunions avec le cabinet du ministre, est d’abord le ministère des Armées. Il a, d’ailleurs, porté ce titre pendant longtemps, même si d’autres grands acteurs au sein du ministère jouent un rôle irremplaçable. Deux mots simplement sur ces autres grands responsables du ministère, parce qu’ils sont très connus à Paris, mais ils le sont parfois moins lorsqu’on est affecté dans les forces : le délégué général pour l’armement (DGA) est responsable des acquisitions d’armement, de la conduite des programmes d’armement et de la préservation de la Base industrielle et technologique de défense (BITD). En fait, il s’agit de préserver la capacité de nos industries de défense à produire les armements dont nous avons besoin. Enfin, il est évidemment l’expert technique dans toutes les études sur la préparation de l’avenir. Le secrétaire général pour l’administration (SGA) est responsable du soutien général administratif et financier du ministère, de la politique générale des ressources humaines et de la gestion de l’infrastructure et du patrimoine. Un degré en dessous, le Directeur aux affaires stratégiques (Das) est co-responsable de l’analyse prospective, des relations internationales et, j’y reviendrai ultérieurement, des négociations internationales pour le ministère de la Défense.
Or tous ces domaines que je viens d’évoquer, ceux du DGA, ceux du SGA, ceux du Das, nous intéressent directement ; ce sont des domaines partagés avec les armées, qui les ont traités jusqu’ici en ordre dispersé. Elles étaient très souvent en désaccord sur les différents sujets qui les concernaient. L’efficacité en pâtissait sérieusement.
Chaque fois que les armées avaient à traiter une question avec le DGA ou le SGA, aussi bien d’ailleurs qu’avec le cabinet du ministre, elles le faisaient en ordre dispersé, même si on a un peu progressé ces dernières années, raison pour laquelle je vous parlais de collégialité. Cette dispersion s’est encore produite tout récemment, pour ne rien vous cacher, sur plusieurs sujets importants. Chaque armée avait donc son idée et négociait à sa manière. Il n’y avait pas de cohérence d’ensemble dans les propositions et, inévitablement, nos partenaires à la DGA, au SGA, au cabinet du ministre, sans d’ailleurs toujours tirer avantage de nos différences, n’arrivaient pas à comprendre le sens de nos demandes et de nos démarches. Finalement, les solutions retenues étaient globalement défavorables à l’ensemble des armées.
Je suis persuadé qu’il est de notre intérêt bien compris de laisser à l’EMA la responsabilité de la coordination dans beaucoup de domaines.
Efficacité
Troisième raison, accroître l’efficacité en renforçant encore la cohérence. Alors là, je vais parler de choses élémentaires, qui nous concernent tous directement. L’exemple typique c’est l’outre-mer. L’outre-mer est considéré, j’entends cela depuis dix ans, comme un laboratoire interarmées. En réalité, comme vous le savez, c’est très souvent dans la vie quotidienne un tissu d’absurdités, de procédures différentes, de traitement inégal des individus, de traitement inégal aussi des équipements et des problèmes, voire d’iniquité. Je pourrais m’étendre là-dessus à l’infini. Tous les inspecteurs généraux des armées qui sont passés là-bas sont rentrés consternés, consternés ! En fait l’outre-mer agit comme un révélateur de nos difficultés à travailler ensemble de manière cohérente. Aussi est-il maintenant nécessaire de passer de l’interarmées minimaliste — de la bonne volonté qui existe aujourd’hui — à l’interarmées régulateur. On y gagnera en cohérence.
Et ce qui est vrai pour l’outre-mer, l’est aussi pour les organismes interarmées, comme dans la vie quotidienne de chacun d’entre nous où les armées procèdent différemment : parfois c’est justifié et impératif du fait du milieu différent dans lequel elles opèrent, mais parfois aussi c’est totalement absurde.
Interministériel
Quatrième et dernière raison, tous les problèmes sont de plus en plus interministériels, comme vous le savez. Tout ce qui concerne les opérations, les budgets, les statuts a des aspects interministériels prononcés. Je pense qu’il est logique que l’EMA, qui est en permanence en interministériel, soit bien l’ambassadeur des armées dans ce dispositif.
Quels sont les grands changements ?
J’en viens maintenant aux changements qu’induisent ces nouveaux textes. Quels sont-ils ?
Chefs d’états-majors
Le premier qui me paraît essentiel, et qui résume tout le reste, c’est l’article 2 du décret du 21 mai 2005 : « Le chef d’état-major des Armées a autorité sur les chefs d’états-majors ». Il a autorité, je le précise au-delà du texte, non plus seulement en opérations ou pour les opérations, mais désormais en permanence et dans tous les domaines. Les chefs d’états-majors gardent un accès direct au ministre de la Défense pour tout ce qui concerne l’organisation, le moral, la discipline et la condition militaire de leur armée. De la même manière, ils continuent de siéger au comité des chefs d’états-majors et, autant que de besoin, au comité ministériel de défense qui se réunit régulièrement autour du ministre. En pratique et pour résumer, ce texte affirme une claire autorité du Cema, mais il maintient la visibilité des armées auprès du ministre. C’était bien l’objectif recherché, d’affirmer la place des armées par plus de force et de cohérence tout en maintenant le lien de chacune d’entre elles avec le ministre.
Le Cema
Plus précisément, quand on rentre dans le détail qu’est-ce qui change ? Le Cema devient responsable de la définition du format, de la préparation du budget, des relations militaires internationales, de la préparation des forces, de la planification et de la programmation des opérations d’armement. Il donne des directives aux chefs d’états-majors en matière de soutien ; il participe à la politique générale du personnel civil et militaire ; il donne son avis sur les projets d’organisation interne à chaque armée.
Quand on le résume ainsi, cela paraît exorbitant et une question m’a été posée à plusieurs reprises : n’est-ce pas beaucoup trop pour un seul homme ? Très franchement, je trouve cette question un peu surprenante. Si tel était le cas, nous n’aurions pas en France de PDG de grandes entreprises qui agissent, croyez-moi, sur des sujets aussi variés et importants, et aussi vite, en permanence tous les jours. Toutefois, dans notre système, cela ne peut marcher que s’il respecte deux principes et dispose d’un instrument.
Deux principes
Le premier c’est la subsidiarité et ça j’y tiens beaucoup. Les chefs d’états-majors gardent la plénitude de leurs responsabilités. La seule différence, c’est que désormais la plus grande partie de ces responsabilités s’exerceront sous l’autorité du Cema au lieu de l’autorité au quotidien du directeur du cabinet du ministre.
Deuxième principe sur lequel les chefs d’états-majors et moi-même fonctionnons déjà depuis deux ans et demi et sur lequel nous fonctionnerons de plus en plus, celui de la collégialité arbitrée. C’est ainsi que le comité militaire des chefs d’états-majors est formellement créé autour du Cema – dans la pratique il existe depuis très longtemps – et ce comité militaire est le lieu où effectivement s’établit la collégialité, où on débat et on échange. Nous passons déjà ensemble environ une heure et demie par semaine, à étudier tous les sujets importants du moment. La seule différence c’est que le Cema peut désormais arbitrer.
L’instrument, c’est quoi ?
C’est l’état-major des armées. L’EMA, je l’ai découvert il y a deux ans et demi car je ne le connaissais pas. J’en mesure la très grande qualité. Cet état-major va inévitablement augmenter, prendre un peu de poids, pour permettre au Cema d’assumer toutes ses responsabilités ; mais nous avons voulu le faire de façon modérée et progressive. Dans l’immédiat nous avons prévu de transférer une trentaine de postes d’officier des états-majors d’armée vers l’EMA. Pour roder les nouvelles procédures de fonctionnement, les états-majors d’armée conserveront au départ sensiblement les mêmes effectifs, ce qui garantit le bon fonctionnement du système. Par la suite, un transfert très limité se produira des états-majors d’armée vers l’EMA. Pour être clair, évidemment, on n’en restera sans doute pas là, mais on n’ira pas très loin. Je reviendrai là-dessus ultérieurement, car cela me paraît essentiel.
Ce qui est nouveau à l’EMA c’est la création, aux côtés de la chaîne « plan » de la chaîne « relations internationales » et de la chaîne « opérations » déjà existantes, d’une quatrième chaîne qui s’appellera « organisation, ressources humaines, logistique, commandement interarmées ». À l’été, un quatrième sous-chef d’état-major en prendra le commandement. Il sera responsable de toutes ces questions. La création d’un commandement organique interarmées est une vraie innovation. Cela nous permettra de mieux gérer les organismes interarmées, désormais très nombreux, qui dépendent maintenant directement de l’EMA et de mieux coordonner l’action d’ensemble des armées.
Pourquoi un transfert aussi limité ?
C’est mon choix. Comme vous le savez sans doute, en Grande-Bretagne le choix a été fait de réduire les états-majors d’armée, disons-le, à des états-majors croupions, de 50 ou 60 officiers. Nos propres états-majors d’armées ont aujourd’hui des effectifs variant entre 500 et 700. Dans les faits, ils sont aussi lourds que l’EMA. Pourquoi ne suis-je pas partisan d’une telle réduction ? Précisément à cause du principe de subsidiarité sur lequel je compte pour que cette réforme prenne et réussisse. Je suis persuadé qu’il n’est pas sain que l’EMA essaye de faire plus mal ce qui est bien fait aujourd’hui par chaque état-major d’armée. L’EMA a vocation à coordonner, orienter et arbitrer. C’est sa mission.
Les grands domaines
Passons en revue rapidement les différents domaines concernés.
Les ressources humaines
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, le Cema définit le format, donc les effectifs, sur proposition des chefs d’états-majors, qui gardent évidemment la gestion du personnel. La politique des ressources humaines des armées sera, quant à elle, coordonnée par l’EMA. C’est indispensable et lorsque je constate la confusion qui règne pour des sujets aussi sensibles que la NBI, les primes de hautes technicité (PHT), l'accès à certains indices de rémunération, je ne suis pas satisfait. Les politiques doivent être organisées et coordonnées, je le répète.
La formation du personnel restera de la responsabilité de chaque armée et le Cema garde, comme hier, la responsabilité de l’enseignement militaire supérieur interarmées. Le moral, la discipline, la condition militaire, resteront de la responsabilité des chefs d’états-majors, même si bien évidemment tout ce qui touche au moral et à la condition militaire n’est pas indifférent à l’interarmées et devra être observé attentivement.
…Vraie nouveauté, désormais le Cema présidera les conseils supérieurs d’armée, auxquels participeront le major général des armées et au moins un officier général affecté à un poste interarmées — ces organismes sont responsables de la sélection et des propositions de nomination des officiers généraux — (…afin de) prendre en compte de manière transverse, la gestion des élites de nos armées… Désormais le « transverse », l’interarmées, est la voie la plus sûre pour accéder aux plus hautes responsabilités.
En outre, j’ai voulu supprimer la tentation que j’ai personnellement observée, hélas trop souvent, de voir l’organique exercer des pressions sur les officiers affectés en interarmées. Il est impensable pour l’efficacité de notre système que les officiers servant à l’EMA ou dans de grands organismes interarmées fassent l’objet de pression de leurs états-majors d’armée, pour qu’ils se mettent au service d’intérêts catégoriels ou partisans. Si on veut que l’interarmées fonctionne correctement, il faut que chaque officier soit libre et travaille avec sa propre culture, sa propre expérience sans aucun doute, mais sans aucune pression extérieure. Enfin, le fait que le Cema s’implique directement et personnellement dans le fonctionnement de ces conseils supérieurs favorisera, nul n’en doute, l’attirance naturelle des meilleurs vers les fonctions interarmées.
Le domaine opérationnel
Rien de changé, bien sûr, si ce n’est que la doctrine, les doctrines d’emploi des forces seront désormais intimement liées à la doctrine interarmées qui sera élaborée par le CICDE (Centre interarmées de concept, doctrine et expérimentations). En ce qui concerne la préparation opérationnelle, le Cema a un rôle de pilotage dans le cadre de la Lolf. De manière plus précise et plus pratique, dans les textes il est précisé qu’il arbitre, si nécessaire, entre les différents exercices programmés par les armées. Nous allons commencer, ce qui est très important, par assainir un peu le système en créant un budget des exercices interarmées, ce qui évitera dorénavant de perdre du temps à argumenter pour des sommes assez modiques. …Les états-majors d’armée continueront de participer à la planification opérationnelle, comme ils le font déjà, et bien évidemment les chefs d’états-majors continueront à désigner les unités qui partent en opération. Dans les faits, il y a donc une cohérence et une cohésion extrêmement étroite, entre ce qui sera fait à l’EMA, et ce qui restera du domaine et de la responsabilité de chaque armée.
Le budget
Changement majeur même s’il reste discret, le budget est désormais préparé par les armées sous l’autorité du Cema qui donne au ministre les priorités à retenir sachant qu’in fine le budget est élaboré et présenté par le SGA. Les équipements proprement dits, ainsi que la définition des spécifications de chaque équipement dépendront toujours de chaque armée. Les équipes de programmes, les officiers de programme, seront également fournis par chaque armée. La gestion et la conduite des programmes continueront d’être assurées par la DGA. Toutefois, …une interface entre les armées et la DGA sera assurée par un nouveau collège mis sur pied cet été, le collège des officiers de cohérence de programme. Il sera à l’EMA et donc, même si les principes demeurent ce que je vous ai dit, de facto, dans la réalité, le « gouvernorat » du Titre V passera à l’EMA.
Toutefois, au sein du programme Lolf « équipement des forces », les armées seront présentes tout au long du processus, notamment au sein du comité directeur qui réunit l’EMA, la DGA et les états-majors. L’arbitrage… se fera au sein du conseil des systèmes de forces, sous la présidence du Cema, mais avec la participation du DGA, du SGA, du chef du CGA et des chefs d’états-majors. Je suis convaincu que pour ce qui concerne les équipements, sujet naturellement très sensible, nous sommes parvenus à un équilibre optimal. La Lolf est un cadre contraignant et le système ne permet pas de maintenir au profit de chaque armée, l’indépendance minimale au niveau du gouvernorat des crédits. Toutefois, les différents comités de gestion de ce programme d’équipements des forces, et aussi l’existence du conseil de systèmes de forces, permettront d’appliquer la collégialité au maximum. C’est seulement quand on en vient au moment de l’arbitrage que la décision ne pourra venir que d’un seul.
…Le ministre a décidé que les arbitrages doivent lui être proposés non par un collectif, Cema, DGA, SGA, etc. ; mais par le Cema seul, donc sur des critères qui soient uniquement d’ordre opérationnel. C’est la preuve tangible que la réforme n’affaiblit pas nos armées, bien au contraire !
Infrastructure
…La responsabilité de la gestion de ce nouveau service unique d’infrastructure est passée directement sous l’autorité du SGA. Dans ce cas précis, les armées ont eu effectivement le sentiment de perdre une partie de leurs responsabilités. Et, c’est exact, il faut bien le reconnaître. Nous avons en partie perdu dans ce dossier un contrôle que nous exercions seuls auparavant ; mais nous disposons encore de possibilités d’action pour faire en sorte que notre point de vue et nos priorités soient pris en compte et respectés.
Les textes prévoient que le SGA assure la cohérence et la tutelle du service unique d’infrastructure, mais que le Cema valide les priorités des armées. Au préalable, chaque armée effectue un travail de fond qui lui permet de bien définir ses priorités. Ensuite le Cema valide les priorités des armées, définit quelles sont les priorités interarmées et il est bien stipulé dans le nouveau texte du 21 mai 2005, qu’il a la responsabilité de veiller à la prise en compte de ces priorités et de celles des chefs d’états-majors par le SGA.
Relations militaires internationales
Le Cema est désormais officiellement responsable des relations militaires internationales. À ce titre, évidemment il oriente les relations militaires internationales de chaque état-major, surtout celles des chefs d’états-majors… Depuis déjà longtemps, (le Cema réunit) deux fois par an l’ensemble des sous-chefs RI des trois armées ; …fait le point des grands changements internationaux… (et répond) aux questions sur les exportations d’armement ou tel ou tel type d’exercice…
Mes convictions
…Contrairement à ce qu’on dit dans les armées, les militaires ont une place privilégiée en France dans le processus de décision politique qui les concerne… Dans aucun pays en Europe, les militaires n’ont accès au politique comme nous l’avons en France, grâce à notre système de cabinet militaire. Cabinet militaire auprès du ministre de la Défense, cabinet militaire auprès du Premier ministre, état-major particulier auprès du président de la République.
…La confusion vient peut-être du fait que nous ne sommes pas toujours suivis dans nos propositions, notamment au plan budgétaire ; mais c’est la loi de la démocratie. Les politiques ont bien d’autres priorités que la priorité de défense, parfois même au sein de ce ministère. Ils tiennent compte des priorités gouvernementales globales, c’est-à-dire tout ce qui touche d’une manière générale aux questions budgétaires, au chômage, à l’effet induit sur la fonction publique de mesures catégorielles prises pour les militaires, bien d’autres choses encore. C’est dû aussi au fait qu’aujourd’hui la situation internationale ne paraît pas aux yeux du politique justifier le sacrifice d’autres priorités nationales.
Un mot pour témoigner de cette influence, en réalité très forte, que les militaires exercent auprès des politiques. Nous n’avons évidemment pas le budget optimum, mais nous avons un budget qui est plutôt bon par rapport aux autres budgets de l’État ; il faut que tout le monde en soit bien conscient. Nous avons une loi de programmation militaire qui était ambitieuse. Grosso modo elle est respectée, bien sûr avec quelques accrocs, mais elle est respectée, au moins aussi bien que les précédentes, et même plutôt mieux. Pour en arriver là, nous avons connu une bataille formidable conduite par le chef du cabinet militaire du ministre de la Défense, par le chef du cabinet militaire du Premier ministre et par le chef de l’EMP, le tout autour du Cema, parce que toutes les propositions sont venues inévitablement de l’EMA.
En fait, ce débat sur la place des militaires dans le processus décisionnel vient surtout du fait que nous ressentons un certain déclassement des militaires dans la société française aujourd’hui.
…Les raisons de ce déclassement sont nombreuses. À l’origine de ce phénomène il y a la défaite de 1940, suivie par les guerres coloniales, l’Indochine et l’Algérie, que nous avons payées par un discrédit fort dans les opinions publiques. Toutefois, aujourd’hui, notre armée professionnelle avec les succès qu’elle connaît dans l’ensemble de ses missions, notamment celles de maintien ou de rétablissement de la paix et de stabilisation un peu partout sur la planète, cette armée a une image positive dans l’opinion publique française comme elle n’en a jamais eue depuis quarante ans. C’est, petit à petit, à partir de cette image que nous allons établir une place plus enviable et mieux reconnue au sein de la société française.
Conclusion
Cette nouvelle réforme est à la fois une étape, un choix raisonnable, un choix français qui n’est copié ni sur le modèle britannique, ni sur le modèle allemand.
Depuis quelques années, nous nous engageons ensemble en opérations. Désormais, nous allons nous entraîner ensemble, réfléchir ensemble, nous organiser ensemble.
…Les armées obéissent à leur chef, et le chef assume les responsabilités qui lui sont confiées par le président de la République.
Comme le disait si bien Paul Valéry, « le chef est un homme qui a besoin des autres ». ♦