Disarmament: Necessary Self-Restraint
Le désarmement : une retenue nécessaire
Dans un monde en expansion démographique, en crise financière et en recomposition économique, comment s’articulent les rapports de force, quels facteurs fondent la puissance ? Dans un univers stratégique qui a banni les guerres régulières (1) et dont les combats se déroulent au milieu des populations avec des moyens souvent improvisés, quel rôle joue la supériorité technologique et logistique ? Sur une planète dont les États n’ont plus le monopole de la violence armée et ne sont plus, tant s’en faut, les seuls entrepreneurs de violence, pourquoi des arsenaux de supériorité stratégique ? Dans une société mondiale où l’émotion omniprésente asservit l’information, submerge les rationalités, déconstruit les déterminismes et altère les logiques stratégiques, à quoi servent les concepts et les doctrines stratégiques ? Ces questions centrales qui minent la réflexion stratégique moderne pourraient faire douter de la pertinence du désarmement et même permettre d’affirmer que cette exigence a enclenché un cercle vicieux qui a accéléré la transformation de la guerre et l’a libérée de sa rationalité (2).
Pourtant la régulation des tensions de la planète résulte toujours d’une dialectique évolutive entre armement, pour dissuader la guerre ou la gagner, et désarmement, pour amorcer la paix et garantir des équilibres suffisants. Mais comme la période actuelle est celle de forts déplacements géostratégiques, faudrait-il en déduire que les inévitables champs d’affrontement vont migrer hors des zones structurées par les arsenaux et les expériences militaires, zones aujourd’hui juridiquement soumises à l’interdiction de la guerre et à la contrainte du désarmement et de ses vérifications ? C’est à la fois possible et partiel.
Possible car il y a encore des espaces mal administrés offrant des champs vierges aux compétitions de puissance et où dissuasion et action peuvent se combiner pour créer des rapports de force favorables, l’espace océanique, sidéral, informatique, normatif, monétaire…
Partiel car dans bien des cas, les questions de frontières, d’incompatibilités ethno-économiques, de sécurité régionale, de compétition stratégique servent toujours à justifier des courses aux armements pour conduire ou dissuader les prédations et les vengeances, défendre les intérêts de peuples vulnérables et d’États fragiles ou soutenir des projets de puissance.
Peut-on dire dès lors, que le désarmement ne s’imposerait au fond qu’à quelques grands acteurs étatiques suspectés d’avoir accumulé des instruments de supériorité stratégique pour échapper aux contingences extérieures et préserver leur liberté d’agir ? Peut-on affirmer qu’il a aussi une portée universelle, à tous les niveaux et dans tous les espaces de conflictualité ? Que la retenue stratégique et tactique doit aujourd’hui s’imposer pour préférer les atouts de la médiation collective au choc toujours aléatoire des armes, au motif qu’elle est certes génératrice de vertu mais surtout productrice d’économie des forces. Voilà un bon sujet de réflexion à la fois éthique et stratégique.
(1) La fin des guerres majeures sous la direction de Frédéric Ramel et Jean-Vincent Holeindre ; Éditions Irsem/EHESS/Économica, juin 2010.
(2) Voir « Le cercle vicieux stratégique », réflexion problématique publiée dans la RDN en décembre 2003.