André François-Poncet (1887-1978), ancien élève de l’École normale supérieure, a été ambassadeur à Berlin de 1931 à 1938. Il s’exprimait ici en octobre 1945.
Les préliminaires de la guerre : l'échec des projets de désarmement européen (octobre 1945)
Lorsqu’il s’était retiré de la SDN, Hitler avait donné clairement à entendre qu’il ne renonçait pas, pour autant, à résoudre le problème posé devant la Conférence du désarmement. À plusieurs reprises il avait indiqué qu’une négociation directe avec la France conduirait au but plus sûrement qu’aucune autre procédure. La perspective de ce débat à deux ne nous séduisait pas plus qu’au temps où Herriot avait refusé de s’y prêter. Il était difficile, cependant, de s’y dérober, et de négliger, par principe, le dernier moyen qui parût s’offrir encore de sortir de l’impasse où la discussion s’était immobilisée. Les Alliés, eux-mêmes, nous y poussaient. Le président de la Conférence, Henderson, insistait vivement pour que nous nous rendions aux invités du Führer. Il était, d’ailleurs, naturel, puisque le système de la discussion en conférence avait échoué, d’en revenir à la voie diplomatique ordinaire et à l’entremise des ambassadeurs, comme c’eût été le cas pour tout autre litige.
Le gouvernement français se rangea, finalement, à ce point de vue. Mais il eut soin d’éviter tout ce qui aurait conféré à ces pourparlers l’apparence d’un colloque privé et secret, auquel les autres Puissances n’auraient pas eu à se mêler, tout ce qui l’eût fait ressembler au tête-à-tête germano-polonais. Chacune de nos démarches fut portée à la connaissance des autres intéressés, et même du public. L’Angleterre, l’Italie eurent ainsi la faculté d’intervenir dans une controverse qui, pour s’être transportée sur le plan des chancelleries, n’en garda pas moins, d’un bout à l’autre, le caractère d’une négociation à plusieurs. Seulement, cette négociation, au lieu de se poursuivre sous la forme d’un débat oral, prit celle d’un échange laborieux de notes écrites, de questionnaires, de réponses aux questionnaires, de mémoires et de contre-mémoires.
Le 24 novembre 1933, sur l’instruction de Paris, j’allai voir Hitler et, me référant à ses nombreuses déclarations antérieures, je lui demandai de me préciser le sens des paroles qu’il avait prononcées et de me dire comment il concevait que pût être réglée la question du désarmement. Il m’exposa alors avec abondance et netteté, en présence de Neurath, ses suggestions. Selon lui, il était inutile de s’obstiner à élaborer une convention de désarmement. Dans la situation actuelle de l’Europe, personne ne se résoudrait à désarmer, la France moins que tout autre. Il fallait donc se contenter d’une convention de limitation des armements. L’Allemagne y participerait, à la condition de ne pas demeurer dans l’état humiliant d’infériorité et de discrimination où l’avait réduite le Traité de Versailles, et d’être autorisée à réarmer, dans une mesure d’ailleurs modérée. Elle demandait, en conséquence, le droit de lever une armée de 300 000 hommes, basée sur la conscription et le service à court terme. Cette armée devrait posséder, en qualité, un armement de même nature que celui des autres pays ; mais les quantités resteraient à débattre. L’Allemagne accepterait, en outre, l’établissement d’un contrôle international. Comme elle ne songeait à attaquer personne, elle était disposée à conclure avec tous ses voisins des pactes de non-agression, valables pour dix ans. Elle se considérait, au surplus, comme liée par le Traité de Locarno, qu’elle avait librement signé. Elle souhaitait, enfin, que l’interdiction de la guerre chimique et bactériologique, du bombardement des lieux habités, et même la suppression totale de l’aviation de bombardement fussent insérées dans la future convention. À ces revendications, accompagnées de nouvelles protestations de son vif désir d’éclaircir l’atmosphère et d’apurer les litiges entre la France et le Reich, Hitler avait joint une offre concernant le bassin de la Sarre. « Le plébiscite qui doit avoir lieu dans cette région – avait-il dit – nous attribuera 90 ou 95 % des voix. Qu’on le veuille ou non, ce résultat sera interprété comme une défaite pour la France et le souvenir de cette défaite pèsera sur les relations franco-allemandes. Ne serait-il pas plus sage de renoncer, d’un commun accord, au plébiscite ? En échange du retour de la Sarre au Reich, celui-ci accepterait que le présent régime économique du territoire fût prolongé et que les mines fussent exploitées, à l’avenir, par des sociétés françaises et des sociétés allemandes, ou par des sociétés mixtes ».
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