Claude Delmas (1920-1993), historien, est spécialiste de l’impact du fait nucléaire sur les affrontements et les rivalités du monde moderne. Il s’exprime ici en 1978.
Rêves et réalités du désarmement (novembre 1978)
Le 25 mai dernier, devant l’Assemblée générale des Nations unies réunie en session spéciale, M. Giscard d’Estaing a présenté un plan de désarmement qui, par les principes qu’il affirmait et les modalités qu’il suggérait, se distinguait sensiblement des projets antérieurs. Il s’agissait d’un nouvel effort pour tenter de trouver une solution à un problème aussi vieux que l’humanité elle-même, mais auquel la puissance et le coût des armes modernes ont donné de nouvelles dimensions. La guerre a été jusqu’ici l’une des constantes de l’histoire, mais les hommes ont toujours espéré trouver le moyen de l’éviter : le rêve d’une paix par le désarmement a été, lui aussi, une constante de l’histoire. Les notions de guerre et de paix sont indissociables, mais si l’on sait comment la guerre se déclenche, on n’a pas encore réussi à savoir comment l’empêcher.
Selon le Dictionnaire de la terminologie du droit international (1960), le désarmement se définit ainsi : « Pris dans son sens propre, le désarmement désigne le fait qu’un ou plusieurs États suppriment leurs effectifs, matériels et préparatifs militaires, pour ne conserver à leur disposition que des forces de police. Dans les négociations sur cet objet, on a fréquemment englobé la réduction et la limitation des armements. On est un peu surpris de voir le but visé désigné tantôt comme « le désarmement », tantôt encore comme « la limitation des armements ». En effet désarmement, réduction et limitation des armements ne sont pas des notions identiques, et leur confusion a contribué à obscurcir un problème dont les données fondamentales sont d’ordre politique, quel que soit le poids des considérations techniques.
À cet égard Raymond Aron a, dans Espoir et peur du siècle (1946), souligné dans les termes suivants la contradiction fondamentale qui a hypothéqué les efforts en faveur du désarmement : « Les efforts pour limiter, réduire ou supprimer les armements ont toujours été paralysés par une contradiction interne. Les États sont, par essence, souverains. Le droit de prendre seul les décisions majeures, celles dont dépendent la paix, la guerre ou le statut des citoyens a été revendiqué tour à tour par les cités, les empires ou les États nationaux par toutes les collectivités qui se voulaient autonomes, par tous les peuples qui aspiraient à une existence politique. Les cités démocratiques n’étaient pas moins jalouses de leur indépendance que les cités aristocratiques, et les nations qui reprirent en Europe l’héritage des monarchies ne furent pas moins jalouses de leur liberté que les rois ne l’avaient été de leur gloire. Les États souverains sont spontanément rivaux ».
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