États-Unis - Politique étrangère américaine
En consacrant presque un quart de la National Security Strategy (NSS) de mai 2010 aux enjeux intérieurs, l’Administration Obama a pris le risque calculé de prêter le flanc aux critiques républicaines, qui furent promptes à dénoncer une instrumentalisation de la sécurité nationale au profit de l’agenda socio-économique intérieur promu par la Maison-Blanche. Cette insistance de la NSS sur les fondements nationaux de la sécurité et, par extension, de la puissance, semblait toutefois inévitable dans l’élaboration d’un document extrêmement formalisé où le besoin de se démarquer de l’héritage Bush II se faisait sentir.
Une page a bel et bien été tournée si l’on considère que la lutte contre le terrorisme passe en seconde position derrière les défis protéiformes de la mondialisation. Surtout, la gestion d’une présidence de crise, dans le sillage de F. D. Roosevelt, impose à Obama de forcer le trait sur la réconciliation entre volet intérieur et extérieur de la puissance américaine. L’autre grand héritage persistant, celui de l’Administration Clinton-Gore, trouve une illustration récente dans la percée scientifique obtenue en matière de génomes de synthèse, qui rappelle l’importance croissante des sciences et technologies pour l’équipe dirigeante actuelle. La gestion habile de cet héritage reste un atout majeur dans la relance de la présidence en 2011.
Sans lien au premier abord, la catastrophe « écolo-économique » qui frappe le golfe du Mexique pourrait, contre toute attente, profiter à Obama, voire aux Démocrates dans leur ensemble aux élections de mi-mandat, sous réserve qu’ils parviennent à faire porter la faute sur les tenants de l’Amérique Big Oil. La variante technologiste de la révolution verte, tant à la peine aux États-Unis depuis la farce de Copenhague, essentiellement du fait de l’effet de ciseaux des lobbies pétroliers d’un côté, écologistes radicaux de l’autre, pourrait retrouver un certain élan après les midterms. Les votes de crédits de recherche et d’investissements au Congrès seront à suivre de près. Mais revenons à l’étranger.
Outre l’articulation entre le national et le global, la NSS repose sans surprise sur trois autres piliers du discours américain, que sont l’intégration de la diplomatie et du développement (formant les « 3D » avec la défense), la promotion du multilatéralisme, et enfin celle des droits de l’homme et de la démocratie. À l’exception de ce dernier thème, sur lequel Obama s’efforce de parer les critiques de droite comme de gauche, ce sont bien les « 3D » et le multilatéralisme qui semblent offrir la grille de lecture la plus simple, sinon la plus pertinente, des succès et revers provisoires de la politique étrangère menée par Washington.
Il y a toujours bien peu à dire pour l’heure concernant la doctrine des « 3D ». La Quadrennial Diplomacy and Development Review (QDDR), finalement non publiée, reste tributaire de conflits d’intérêts majeurs, notamment entre le Département d’État et la United States agency for international development (USAID), sans compter les défis de long terme (planification, budgets, etc.) auxquels la réforme devra s’atteler tôt ou tard, et que la PSD-7 (Presidential Study Directive on Global Development), publiée officieusement mi-mai, ne prend nullement à bras-le-corps.
Concernant le multilatéralisme en revanche, des tendances lourdes se confirment, en particulier sur le continent asiatique. La visite, ou plus précisément le « retour » de Barack Obama en Indonésie, prévue mi-juin, a été une nouvelle fois ajournée (pour la deuxième fois ou plus selon les sources), cette fois-ci pour cause de marée noire. Ce voyage, qui devait également comprendre l’Australie, aurait placé l’Asie du Sud-Est à l’honneur dans l’agenda américain, et relancé les débats de la Beltway sur la place des États-Unis dans l’architecture institutionnelle de l’Asie de l’Est lato sensu, avec en point de mire la question de l’association de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l’Inde à l’ASEAN +3 +3 (Association of South East Asian Nations) dans un futur East Asia Summit auquel Washington, mais aussi Moscou et pourquoi pas Bruxelles pourraient souhaiter participer. Mais pour y faire quoi ? La situation économique en Asie du Sud-Est comparable à celle de l’UE : aux PIGS sud-européens (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) répondent en miroir inversé les CMLV du Nord de la zone Sud-Est, soit les États continentaux à l’exception de la Thaïlande (Cambodge, Myanmar, Laos et Vietnam). Mais la comparaison s’arrête bien évidemment là, aux marches de la Chine.
Malgré le bon déroulement de la session du Dialogue stratégique et économique sino-américain de mai, les relations avec Pékin ne semblent pas pouvoir s’extirper des malentendus accumulés depuis 2009. Lors du Dialogue de Shangri-La des 4-6 juin, équivalent de la Wehrkunde de Munich en Asie, Robert Gates a tenté d’isoler les déclarations défiantes d’officiers de l’Armée populaire de libération chinoise (APL). Il ne fallait pas entrer dans un jeu de montée des enchères chinoises sur Taiwan, la crise coréenne et les sanctions contre l’Iran présentées fin juin au suffrage du Conseil de sécurité. Mais ce fut peine perdue si l’on en juge par la fin de non-recevoir chinoise à la volonté de Gates de s’arrêter à Pékin sur le chemin du retour.
Sur l’Iran justement, la Turquie et le Brésil sont, semble-t-il, parvenus à remettre sur pied le compromis de Genève d’octobre 2009, par lequel l’Iran acceptait l’expatriation de 1 200 kg d’uranium enrichi en échange de la fourniture de piles de combustible. Offrant potentiellement un peu d’espace aux négociations selon la France et la Chine, ce début d’accord ne suscita qu’inquiétude de la part de Washington, qui jugea l’accord dépourvu de garanties sérieuses et continua d’en appeler à un renforcement des sanctions. Fortement compromis du fait des résistances russes et surtout chinoises, un projet de résolution en ce sens a été adopté le 8 juin contre les voix de la Turquie et du Brésil, et avec l’abstention prévisible du Liban.
La « séquence nucléaire » ouverte il y a un an en grande pompe par le discours de Prague, et qui s’est refermée en mai, n’augure rien de positif sur les évolutions de la crise iranienne. Se sont succédé la Nuclear Posture Review, le nouveau traité Start conclu avec la Russie, le sommet de Washington sur la sécurité nucléaire et enfin la Conférence de révision du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), avec rendez-vous pris en 2012 pour une conférence sur un Moyen-Orient non nucléaire, une proposition d’origine égyptienne à laquelle s’est in fine rallié Washington, au risque de placer Israël en porte-à-faux. Rendez-vous pris pour la forme, à l’instar des précédents, car à l’issue de cette longue phase, aucun expert n’est véritablement parvenu à déceler de renforcement durable du régime de non-prolifération ou de progrès substantiel en matière d’Arms control.
Le dossier iranien ne fait indirectement que confirmer la nécessité pour Washington de poursuivre une politique d’engagement diplomatique accru vers les puissances moyennes qui comptent de plus en plus : Turquie, Indonésie, Brésil, etc. D’autant qu’un an après le discours du Caire, et près de deux ans après la guerre de Gaza, le conflit israélo-palestinien reprend le devant de la scène, dans un nouvel acte où chacun des acteurs régionaux semble persévérer dans ses erreurs, alimentant une crise qui ne peut profiter qu’au régime de Téhéran à court terme, et témoigne de l’influence déclinante de Washington sur ses alliés traditionnels (Israël et Turquie).
Concernant l’Inde, le premier temps du Dialogue stratégique indo-américain, qui eut lieu à Washington début juin, confirme les perspectives de coopération pragmatique amorcées sous Bush. Malgré la priorité accordée aux enjeux économiques, les États-Unis devront prendre en compte les demandes de l’Inde en faveur de son intégration dans un Conseil de sécurité onusien rénové avec, en toile de fond, les craintes de New Delhi envers tout G2 sino-américain, ainsi qu’envers toute immixtion américaine dans sa relation avec le Pakistan et, surtout, envers la mainmise de celui-ci sur l’Afghanistan.
L’Afghanistan encore et toujours, qui vient de franchir trois seuils critiques, symboliquement du moins. En premier lieu, il s’agit désormais de la plus longue guerre menée par les États-Unis (104 mois) devant le Vietnam (hors engagement américain avant 1965). En second lieu, la bascule Irak-Afghanistan est désormais achevée : le nombre de troupes américaines déployées en Afghanistan dépasse désormais celui de l’Irak. Enfin, l’américanisation de la guerre commence, sans doute irrémédiablement, à trouver sa traduction en termes de commandements, les troupes américaines étant désormais prépondérantes au Sud, dans les provinces de Kandahar et du Helmand. Conservant le commandement de coalition dans la région Est, les États-Unis vont relayer d’ici 2011 les commandements tournants canadien (retrait annoncé fin 2011), néerlandais (retrait fin 2010) et britannique. Ils commanderont ainsi les trois principales zones de contre-insurrection. Obama, qui a prévu une évaluation de la nouvelle stratégie fin 2010, a évoqué une première bascule potentielle vers un retrait progressif à partir de juillet 2011.
Juin 2010