L’Afrique du Sud s’affirme comme une de ces nations à fort potentiel qui émerge au premier plan des puissances du XXIe siècle. L’auteur fait un inventaire soigné des facteurs de force de ce pays austral.
L’Afrique du Sud est-elle une grande puissance ?
Is South Africa a great power?
South Africa has established itself as a nation with great potential that is taking its place among the foremost powers of the twenty-first century. The author provides a meticulous inventory of the elements of power of this southern country.
Il y a peu, on désignait les pays émergents par l’acronyme BRIC, regroupant le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Mais depuis l’hiver 2009, un nouvel acronyme est venu concurrencer le précédent : on parle désormais également du BASIC. L’Afrique du Sud constituerait donc la quatrième nation mondiale émergente du groupe à la place de la Russie. Cet avènement de l’Afrique du Sud n’est pas surprenant d’un point de vue occidental, car l’image dont bénéficie le pays en Europe et aux États-Unis est en effet celle du « bon élève » de l’Afrique. Une image d’Épinal à l’opposé de celle du reste du continent perçu comme instable, dangereux et violent, dont la plupart des nations sont soumises à des dictateurs aux régimes corrompus. Devant la volonté affichée des grandes puissances de trouver des nations « modèles », à la fois amenées à diriger avec elles le monde de demain et gage de la possibilité pour tout État d’évoluer dans l’ordre international, l’Afrique du Sud a le profil type du candidat souhaité. Nicolas Sarkozy, appelant de ses vœux un membre africain au Conseil de sécurité des Nations unies, s’est bien gardé de citer la nation arc-en-ciel pour ne pas froisser ses rivaux continentaux que sont le Nigeria ou la Libye. Alors, qu’en est-il réellement de la puissance sud-africaine ? Est-elle perçue comme un leader sur son continent ? En somme, la puissance sud-africaine est-elle une réalité géopolitique ou un fantasme occidental ?
Les origines de la volonté hégémonique sud-africaine
Le point de départ de ce processus est l’élection de Nelson Mandela, vainqueur des présidentielles le 27 avril 1994. Si la première partie de son mandat fut entièrement orientée vers la réparation des injustices du passé sur le plan interne, il avait bien conscience que la « renaissance » de son pays devait également profiter au continent africain dans sa globalité. Dans cette optique, son ministre des Affaires étrangères, Alfred Nzo, fit un discours fondateur les 8 et 11 août 1994 devant le Comité de libération de l’Organisation de l’union africaine (devenu Union africaine). Ce discours dégageait six axes majeurs placés au cœur de la politique étrangère de la nouvelle Afrique du Sud : promouvoir les Droits de l’homme, promouvoir la liberté et la démocratie, promouvoir le respect de la justice et du droit international dans les rapports interétatiques, promouvoir la paix et les mécanismes internationalement convenus pour résoudre les conflits, veiller à la défense des intérêts de l’Afrique dans les affaires mondiales et enfin développer une coopération économique accrue sur les plans régional et international (1).
La matérialisation de cette volonté sera manifeste durant trois épisodes de la présidence de Mandela. Le premier de ces épisodes concerne la réconciliation nationale et la fameuse « commission vérité et réconciliation ». Cette commission n’était pas un tribunal révolutionnaire chargé d’organiser et d’exécuter la chasse aux sorcières, mais avait pour but de permettre l’expression des victimes de l’Apartheid, l’amnistie des crimes commis en son nom sous réserve qu’ils l’aient été pour des raisons politiques, l’indemnisation des victimes et l’établissement de la vérité. Présidée par l’archevêque et ancien prix Nobel Desmond Tutu, cette commission fut unique en son genre, car très différente des commissions similaires mises en place antérieurement en Amérique du Sud et en Amérique centrale, surtout dans sa volonté de mettre sur un pied d’égalité victimes des exactions de l’ancien pouvoir et victimes de la lutte anti-Apartheid. Intrinsèquement liée aux personnalités de Mandela et de Desmond Tutu, la commission avait pour philosophie de transcender la notion de vérité au nom de la culture des Droits de l’homme, et son but était de reconnaître les problèmes et faire avant tout avancer la société (2). Mandela a essayé d’exporter cette idéologie dans sa politique étrangère. Il en eut l’occasion suite au tragique génocide rwandais : plutôt que d’envenimer la situation en dénonçant tel ou tel acteur du conflit, il soutint le pouvoir en place afin de maintenir le pays dans une situation sociopolitique stable et participa activement à la création d’un Comité de personnalité de la sous-région, chargé d’éviter qu’un tel drame ne se reproduise. À défaut d’être un franc succès, cette initiative eut un impact positif, puisque la situation du Rwanda s’est stabilisée et que les tensions communautaires sont aujourd’hui contenues. Enfin, le troisième et dernier grand épisode de l’action de Nelson Mandela dans sa politique étrangère fut de soutenir l’accord de paix de Lusaka, mettant fin à la guerre en Angola.
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