Pour renforcer la prévention et la prévision des crises et permettre de les dépasser, le président du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS) plaide pour une combinaison des méthodes des sciences exactes et de celles des sciences humaines.
Quels outils stratégiques associant sciences exactes et humaines ?
Bringing together pure and social sciences in support of strategic analysis
For better prediction and prevention of crises, and to work around them successfully, Alain Bauer, the president of the CSFRS (the Higher Council for Training and Strategic Research) pleads the case for combining methods used in the pure sciences with those of social sciences.
Alors que fut développée en France une véritable politique visant à asseoir au plus haut niveau mondial la recherche scientifique (sciences et structures de la matière, de la nature et de la vie), avec des succès répétés en mathématique, génétique, fission et fusion. Alors que dans ces domaines, ingénieurs et chercheurs français sont réputés dans le monde entier, d’autres disciplines n’ont, semble-t-il, pas recueilli le même enthousiasme international. Certes en philosophie, en histoire, de brillantes individualités ont marqué et marquent encore leur domaine. On trouve une école française, une « French Theory », reconnues. Mais après une période brillante, la pensée stratégique stagne peu ou prou. Trop souvent désormais, la compilation se substitue à l’élaboration d’outils de long terme, visant à anticiper les crises, à déceler les mouvements, à identifier le « low signal » comme le « no signal ».
Pourtant, dès qu’on dépasse le diagnostic, réel mais insuffisant, d’une crise de la pensée stratégique, on trouve ici et là des perles isolées, des oasis peu visibles, souvent masquées par un vaste désert. Sont-ce les tristes lueurs du crépuscule ou les fastes exaltants de l’aube naissante ? Toujours est-il qu’on ne peut plus rester les spectateurs attristés d’une situation insatisfaisante et qui doit désormais évoluer. D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un cas propre à la France, car partout en Occident, le fétichisme technologique et le flux tendu ont remplacé l’analyse stratégique.
Outil de mutualisation et de dynamisation de la pensée stratégique, explicitement conçu pour surmonter la crise ci-dessus évoquée, le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques vise justement à soutenir et fédérer les efforts encore trop souvent solitaires de nombreux acteurs publics ou privés. Après les Assises de la recherche stratégiques de juin 2010, on a maintenant les initiatives en Afrique et dans le Golfe des prochains mois, en Asie en fin d’année prochaine, l’appel d’offres ouvert lancé durant l’été 2010 : tout cela vise à révéler les actions menées en France, en Europe et dans le monde sur ces questions stratégiques.
Certes, la compréhension de ces enjeux, économiques, diplomatiques, militaires, sécuritaires, doit servir aux autorités publiques à équilibrer les forces en présence et à appréhender les contours et les contenus de ce qu’on qualifie désormais d’arc de crise. Mais aussi à sortir de la rétrospective justificative pour regarder vers l’avant et anticiper les épreuves à venir.
Comme toujours, prévention et prévision n’empêchent pas les crises, mais permettent d’y survivre. Et le rapprochement entre les méthodes des sciences exactes et celles des sciences humaines doit fortement contribuer à cet exercice.
Surtout en France, les chercheurs se vivent souvent en donneurs de leçons pour les politiques ou les militaires. Nous souhaitons sortir de cet exercice qui se résume trop facilement à des séquences d’incantations, d’imprécations ou de lamentations, pour offrir à tous ceux qui souhaitent entamer une démarche prospective et positive, les outils nécessaires à la conduite des affaires de l’État et des entreprises confrontées aux enjeux de souveraineté.
La mondialisation, qui démontre chaque jour combien s’estompent les frontières géographiques et culturelles, peut sans doute être niée ou vitupérée. Mais nous croyons plutôt au principe de réalité qui seul nous permettra de défendre nos modèles et nos approches – ceux-ci, loin d’être de baroques survivances, devant être préservés – tout autant qu’adaptés et amendés.
Les grandes crises économiques, sociales, financières, obligataires, immobilières, alimentaires, etc., ne se résoudront pas en fabriquant de nouvelles « bulles » venant remplacer les précédentes, au prix d’amnésies médiatiques et de négations du réel. Il nous faudra à l’inverse savoir mieux anticiper, pour accompagner l’évolution d’un monde toujours plus interdépendant. En matière industrielle, dans le monde de l’automobile ou de l’aviation ; de l’armement ou de la sécurité, comme du médicament ou de la banque, des médias et de la communication ; qu’il s’agisse de la maîtrise des matières premières ou des terres rares, de l’informatique, des logiciels, de la génétique, comme des savoir-faire, demain commence déjà à se jouer.
Les stratégies, qui peuvent et doivent dès maintenant émerger, façonneront notre quotidien à venir. Tels sont les enjeux dont nous souhaitons convaincre les chercheurs, les enseignants, les industriels, les représentants des administrations publiques.
À cette fin, voici ouverte une première perspective pour éclairer le débat. Elle inclut volontairement nombre de ces pensées atypiques et dérangeantes qui souvent, ne sont rien d’autre que les banalités de demain. ♦