La Chine dont les contradictions butent sur l’intégration du modèle occidental repense sa périphérie à l’Ouest en Asie centrale, au contact de l’Inde et dans la gestion des Méditerranées qu’elle partage avec ses voisins : Japon, Corée, États-Unis. De l’Europe, elle considère surtout l’appendice russe.
« Centre » et « périphérie » dans le contexte chinois
‘Centre’ and ‘periphery’ in the Chinese context
The contradictions of China frequently conflict with attempts to integrate the Western model. The country is rethinking its entire periphery from the west, in Central Asia, through its contact with India to managing contacts with its neighbours Japan, Korea and the United States. With regard to Europe, it is looking in particular at the Russian dimension.
Centre, périphérie : notions saturées de sens… L’alliance entre la technologie et la vitesse ou ce qui constitue, pour parler le langage de Paul Virilio, une « dromosphère » (1), a réduit considérablement les distances séparant un point à l’autre du globe. Paradoxe, explicable entre tous, la mondialisation a provoqué en Chine, comme ailleurs, des revendications identitaires. Ces revendications sont de nature politique. Vue de l’extérieur, deux Chine s’affrontent incarnées respectivement, par le président Hu Jintao et le dissident Liu Xiaobo. Républicanisme, fédéralisme, démocratie et liberté sont les maîtres mots de revendications auxquelles le gouvernement central reste sourd (2). Dans les faits, dissidents et dirigeants adhèrent à des schémas hérités de l’Occident. Les premiers optent pour un langage humaniste et civique. Il s’inscrit dans une continuité intellectuelle ouverte par Machiavel qui récuse la réduction de la politique au droit et prend en compte l’importance des mœurs dans la préservation de la liberté (3). C’est une synthèse libérale qui tente d’instaurer dans le temps un universel de valeurs. Les seconds, s’inspirant de Carl Schmitt (4), considèrent l’État total comme une entité souveraine qui garantit l’unité et la paix entre les nations. Entre ces deux courants, Zhao Tingyang (5), promoteur d’un confucianisme politique, réhabilite une notion empruntée à la pensée antique chinoise, le « Monde » ou Tianxia. Ce concept cosmopolite envisage une mondialisation transcendant les clivages afin de construire un espace politique universel. Pour ses détracteurs (6), le concept de Tianxia n’est qu’un puissant levier du nationalisme chinois. Il exclut de facto la reconnaissance d’une responsabilité citoyenne décentralisée et la participation dynamique des minorités ethniques, situées pour la plupart à la périphérie du territoire chinois, à un débat national qui engage pourtant leur avenir.
Débats, évolutions et posture chinoise
Ce débat est largement subordonné aux enjeux de politique étrangère que Pékin a redéfini en tenant compte de faits majeurs : l’un est conjoncturel (l’effondrement de l’URSS en 1991), l’autre est de nature économique. Les importations croissantes de la Chine en matière d’hydrocarbures (qu’elle contrebalancera probablement un jour par sa richesse dans le domaine des terres rares), sa précarité sur le plan financier, ont engagé ses dirigeants dans une voie de coopération renforcée avec les « pays émergents » (xinxing daguo) : Inde, Brésil, Russie, Afrique du Sud. Le développement de ces États coïncide avec une posture affichée par leurs responsables d’exercer un rôle central dans tout ce qui a trait à une forme d’« expérience non occidentale » (fei xifang de zhengzhi linian) (7). Décomplexés et « fiers » (guomin zihaoguan) (8), la Chine, ses élites, semblent tourner le dos aux humiliations passées avec la conscience aiguë que le « centre de gravité » de l’économie mondiale a « basculé vers l’Est » (quanli dongyi) (9). Désormais, la Chine se donne les moyens rhétoriques d’exprimer les ruptures, les orientations, les repères car la crise financière a sonné le glas de l’hégémonie américaine et le temps est venu de rebattre les cartes. Tout cela implique une modernisation du multilatéralisme, une modération de la diplomatie de club et le grand retour – fût-il mythique – d’un esprit post-tiers-mondiste où la Chine entend accorder une voix aux plus faibles, aux plus pauvres : l’Afrique, cela va sans dire, mais d’abord et avant tout ce quart-monde inhérent à la Chine même, avec son cortège de miséreux dont le nombre ne cessera de croître. L’heure n’est donc pas, pour la Chine vis-à-vis de l’Occident et des États-Unis plus particulièrement, à la recherche d’un conflit de grande envergure mais bien au contraire, à la négociation et au compromis. Les relations de la Chine avec sa périphérie, plus ou moins proche, resteront marquées par l’intérêt bien compris du commerce et des bons plans partagés. Toutefois, ces relations pourront être exposées à des rivalités stratégiques localisées et des querelles de frontières qu’il nous faut présenter. Elles recoupent des réalités géographiques à la fois continentales et maritimes. Ce sont elles qui donnent accès à la Chine.
L’Occident de la Chine : de l’Asie centrale (10) à l’arc himalayen (11)
Glacis stratégique, réservoir de ressources, l’Asie centrale offre une profondeur de champ que la Chine comme la Russie voisine n’ont jamais cessé de convoiter. L’une comme l’autre de ces puissances se sont parfois retrouvées pour dénoncer l’entrisme des États-Unis et de l’Otan dans cette partie du monde. L’Organisation de coopération de Shanghai, l’OCS, fondée en 2001, regroupe en son sein six États membres. Elle répond à cet impératif stratégique. Elle accueille aujourd’hui le Pakistan, l’Iran, la Mongolie et l’Inde avec un statut d’observateur pour combattre les trois fléaux identifiés par la rhétorique sécuritaire chinoise que sont « le terrorisme, l’extrémisme et le séparatisme » (12). Écarter la menace des révolutions « orange », des soulèvements minoritaires qui ont embrasé le Caucase et depuis peu, le Kirghizstan, sur fond de terrorisme et de radicalisation islamiste s’inscrit dans une logique sécuritaire et de développement économique soutenu par la Chine tant dans le domaine des infrastructures que de l’exploitation des hydrocarbures. Recherche de minerais rares dans la région des Pamir, contrôle des gisements d’uranium ou installation de gazoducs aux itinéraires concurrentiels établis par Moscou font de cette partie du monde un théâtre où se déroule un nouveau grand jeu. Depuis près de vingt ans, Pékin a misé sur un développement économique de très grande ampleur de ces régions du grand Ouest qui jouxtent la province dite autonome du Xinjiang pour acheter la paix sociale et éviter tout phénomène de rébellion contagieuse. Les troubles fomentés par la minorité ouïgour d’une part, le déchaînement de haine qui s’est emparé d’une partie de la classe politique kirghize de l’autre, contre les intérêts chinois au cours de ces dernières années, ont montré toutefois les limites de cette politique. Cette dernière reste contrariée par les velléités de Moscou de maintenir sa présence dans une région qu’il considère comme l’un de ses prés carrés, mais aussi par les bases de la coalition occidentale qui s’avèrent essentielles pour la réalisation de ses missions en territoire afghan.
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