Asie - Exposition universelle de Shanghai et perspectives chinoises
L’exposition universelle
Caractéristiques générales
Le site de l’exposition s’étend sur plus de 5 km² de part et d’autre de la rivière Hoang Pu. Le site a été préalablement assaini, ce qui a entraîné la disparition de plus de 250 usines polluantes et obsolètes ainsi que celle d’un chantier naval employant plus de 10 000 personnes et d’une centrale électrique vétuste. Plus de 60 000 personnes ont vu disparaître leurs logements et sont, ou seront, en principe relogées ailleurs.
Le principe de la pérennité d’un certain nombre d’installations a été retenu et les infrastructures devraient permettre la création d’un nouvel ensemble urbain moderne et écologique pouvant accueillir environ 200 000 habitants.
L’exposition universelle a été considérée par le gouvernement central comme une priorité nationale et les investissements ont été considérables, de l’ordre d’une quarantaine de milliards de dollars. Cette manne financière a permis à la fois la modernisation des transports et des infrastructures de la ville de Shanghai et la réalisation de la plus grande exposition de l’Histoire : quatre lignes de métro supplémentaire portant le réseau le plus étendu de Chine à plus de 420 kilomètres, deux nouveaux ponts franchissent le Huangpu, le deuxième aéroport le Hongqiao airport modernisé et mis aux normes internationales ; la célèbre promenade du Bund a été complètement remodelée et la circulation automobile réduite pour un coût de plus de 500 millions d’euros.
242 pays et organisations internationales étaient représentés.
Le thème retenu « une meilleure ville, une meilleure vie » ainsi que la mascotte stylisée d’après le caractère chinois « ren » qui signifie homme et humanité, montrent l’ambition chinoise dans le domaine de l’environnement et de l’économie verte.
Cette exposition est d’abord destinée à un public chinois qui constitue plus de 95 % des visiteurs. Le prix d’entrée est élevé : 15 € et hors de portée de la masse de la population. Toutes les entreprises, organisations et écoles sont mobilisées pour financer, encadrer, accompagner et guider une majorité de gens qui ne connaissent pas la vie urbaine, n’ont jamais pris le métro, ni les navettes fluviales qui permettent de passer d’un site à l’autre, de part et d’autre du fleuve.
Au 31 octobre l’exposition avait reçu près de 70 millions de visiteurs.
La moyenne journalière des visiteurs oscille entre 300 000 et 400 000. Malgré une organisation remarquable et la présence de nombreux facilitateurs bénévoles, la durée d’attente des files devant les principaux pavillons varie entre trois et six heures. De nombreux visiteurs ont pour but de voir leur passeport de l’exposition orné du tampon spécifique à chaque pavillon afin de pouvoir montrer au retour à leurs familles et aux autorités du village qu’ils ont bien visité l’exposition.
Cinq zones spécifiques intitulées A, B, C, D, E se partagent le site, deux à l’ouest du fleuve regroupant les pavillons techniques et les pavillons traitant d’urbanisme et d’écologie urbaine, trois à l’est du fleuve regroupant les pavillons d’Asie, les pavillons occidentaux et africains ainsi que les pavillons à thème.
Les pavillons nationaux
Ils ont pour ambition de mettre en valeur les spécificités de chacun des pays représentés. L’impression est très inégale, certains sont quasiment vides, beaucoup cependant ont une architecture extérieure intéressante comme le pavillon britannique.
Citons en particulier le pavillon chinois qui domine tous les autres par sa masse imposante et son architecture très esthétique inspirée de la forme d’anciens temples. Le coût est très élevé, plus de 220 M$, mais le résultat spectaculaire. Il représente le message politique de la Chine au reste du monde, s’affirmant comme une grande puissance en devenir avec laquelle il faudra désormais compter. À proximité sont implantés les pavillons de Hong Kong, Macao et Taiwan. Cette implantation spécifique à l’ombre tutélaire du pavillon national illustre parfaitement le principe « d’un seul pays, deux systèmes ».
Le pavillon français, très végétal, a beaucoup de succès auprès des visiteurs chinois (au total prés de 10 millions de visiteurs) qui continuent à fantasmer sur l’image d’une France romantique. Le contenu abuse de ce thème en mettant en valeur la cuisine française, l’industrie de luxe et les arts et lettres. Tout visiteur lucide et sensible à l’évolution du monde ne peut qu’être frappé par ce décalage, voire la ringardise de la présentation de notre image nationale.
D’autres pays européens, comme le Danemark, ont une présentation plus adéquate en soulignant la qualité de vie obtenue en préservant l’environnement et en développant des technologies nouvelles adaptées.
Les pavillons techniques
Situés sur la rive ouest du fleuve, les pavillons techniques ont également beaucoup de succès auprès d’une population avide de nouvelles technologies et sensible à l’amélioration d’un environnement très dégradé. Les présentations imaginatives et poétiques utilisent les technologies multimédia les plus récentes dont certaines sont seulement en développement en Occident.
Le visiteur occidental est frappé par les progrès spectaculaires et l’énorme potentiel, en particulier dans le domaine des transports, des sources d’énergie et du traitement des matières premières.
Le pavillon consacré aux transports ferroviaires montre les progrès fulgurants de la Chine dans ce domaine. Le réseau des lignes à grande vitesse se développe à un rythme inimaginable en Europe. Les rames sont très belles et très confortables et fonctionnent par des températures très basses. Les gares, véritables cathédrales du XXIe siècle, constituent d’immenses plates-formes d’interconnexion par où transitent, pour certaines, plusieurs millions de personnes par jour. Nul doute que la concurrence ferroviaire chinoise va s’emparer de nombreux marchés en Europe et aux États-Unis dans les prochaines années.
Le choix stratégique des autorités chinoises de développer les voitures à moteur hybride et de passer au tout électrique en milieu urbain se traduit par la maîtrise dans la fabrication de batteries électriques ion-lithium qui équiperont toutes les voitures jusqu’à la décennie 2040. L’avance technologique initiale occidentale, en particulier française, est désormais balayée par la combinaison d’une volonté politique déterminée et de moyens importants correspondants au potentiel d’un marché local en expansion continue.
Perspectives chinoises
Comme les jeux olympiques, l’exposition universelle aura contribué à la notoriété de la Chine qui est devenue un acteur politique et économique important sur la scène internationale. Cette perception fascine et inquiète à la fois un Occident morcelé et sur le déclin.
Au plan intérieur l’exposition universelle a surtout profité à la ville de Shanghai. Les investissements massifs vont encore décupler le dynamisme et l’imagination des Shanghaïens. On peut penser que, sur la lancée de l’exposition, ce dynamisme demeurera irrésistible dans les quatre à cinq ans à venir.
La méfiance du pouvoir central à l’égard des initiatives shanghaïennes est une donnée permanente de la vie politique chinoise. Malgré la présence de XI Jingping, « fils de prince », originaire de Shanghai et possible successeur du président Hu Jintao, nul doute que l’expansion incontrôlée de Shanghai subira à terme un nouveau coup de semonce de la part de Pékin.
Au plan international force est de constater la qualité du pilotage macro-économique qui fait de la Chine la deuxième puissance économique du monde disposant de près de 2 000 Mde de réserves de change. Ces réserves, les plus importantes du monde, offrent des marges de manœuvre exceptionnelles permettant à la fois le rattrapage technologique, la conquête d’une position de leader dans les énergies renouvelables et le rééquilibrage progressif du modèle économique vers la consommation intérieure.
Il est vrai que le mode de recrutement des responsables de haut niveau est très sélectif et s’étend sur une dizaine d’années à partir de la quarantaine. Les postulants subissent une véritable « épreuve du feu » à travers des affectations à risque (Tibet, Xinjiang, « ceinture de rouille » du Nord de la Chine…) et les pertes en ligne sont importantes.
Au final il n’est pas surprenant que le niveau des décideurs politiques chinois soit supérieur à celui de la plupart de leurs homologues occidentaux, généralement professionnels de la politique qui ont prospéré en milieu protégé.
Après une courte éclipse de deux siècles, la Chine est en passe de retrouver son rang de première puissance économique de la planète. Cette perspective s’accompagne d’une montée d’un nationalisme populaire et d’une certaine arrogance dans les comportements politiques qui créent des tensions avec les États-Unis et les autres puissances asiatiques comme le Japon et l’Inde.
Mais le débat au sein des instances dirigeantes est loin d’être clos. Pour l’instant les responsables politiques font preuve de prudence et de réalisme et ne sont pas encore disposés à assumer au plan international les responsabilités indissociables de leur statut de grande puissance globale. ♦