Les guerres du Golfe. Espoir ou chaos
Les guerres du Golfe. Espoir ou chaos
Ignorer un livre traitant des guerres du Golfe, écrit par le général qui, lors de la première, commandait notre Armée de l’air, voilà qui est impardonnable. L’intérêt de l’ouvrage tient à la personnalité de son auteur, il tient aussi à ce qu’il réunit les enseignements de deux guerres que tout oppose, celle de 1991 et celle de 2003. Si Jean Fleury se limite, fort honnêtement, à ce qui fut de son ressort (1), il n’en porte pas moins, sur la campagne menée en 2003 par les Américains, un jugement sévère qui fane quelque peu les lauriers qu’on leur a, alors, généreusement tressés.
De la guerre de 1991, donc, l’auteur était aux premières loges pour observer les acteurs principaux. Il trace un portrait flatteur de François Mitterrand en chef des armées, un autre tout à l’opposé de Jean-Pierre Chevènement empêtré dans ses états d’âme, un troisième, dithyrambique aussi, du prince Khaled ben Sultan, prince saoudien promu chef du « commandement unifié ». On notera que l’ancien patron de notre Armée de l’air ne fait pas mention des difficultés, souvent évoquées par les commentateurs, qu’aurait causées à nos planificateurs l’éloignement où ils se seraient trouvé des sources américaines. Mais il rappelle le drame que fut la première mission de nos Jaguars et le changement de tactique aussitôt décidé par lui pour en éviter le retour. On revivra aussi les épisodes spectaculaires de la bataille : chasse aux Scud, excellence des armes « intelligentes » et rôle pourtant maintenu des grossiers B-52, fuite d’un tiers des avions irakiens, réfugiés en Iran où, confirme-t-on, ils se trouvent toujours. On lira aussi, fort clairement expliqué dans les mémoires de George H. Bush, le choix sage de ne pas pousser sur Bagdad. Expliqué aussi, mais avec moins d’assurance, l’arrêt des combats, prématuré selon beaucoup et permettant à Saddam Hussein de conserver ce qu’il lui fallait de forces pour mater, avec la vigueur que l’on sait, les révoltes attendues. Peut-être, avance l’auteur, espérait-on que les généraux irakiens, ainsi ménagés, liquideraient eux-mêmes le tyran. C’est l’inverse qui eut lieu.
Seconde guerre, tout autre celle-ci et tout autres ses acteurs. Voici le fils aux affaires, aussi ignorant des relations internationales que le père en était instruit. Projet pour le nouveau siècle américain, tel sera le catéchisme de ce débutant, lettre ouverte adressée au Président, en janvier 1998, par dix-huit signataires. Onze de ceux-ci, Rumsfeld en tête, se retrouveront dans l’administration de George W, adversaires acharnés de Saddam Hussein. Le nouveau Président ne les suivra d’abord qu’à petits pas et il faudra le 11 septembre pour le jeter en guerre, et contre les taliban. L’affaire afghane réglée – croit-on – Saddam est alors noirci de desseins imaginaires, armes nucléaires ou terrorisme, alors que le renforcement de sa dictature suffisait à le condamner. La seconde guerre se prépare, directement dans les « zones d’exclusion » décrétées au nord et au sud de l’Irak, sur le papier par le plan Iraki Freedom. C’est ici que le désaccord commence, entre Rumsfeld, pour qui peu d’hommes suffiront au succès, et ses militaires, qui en veulent beaucoup. Rumsfeld imposera sa volonté à des généraux que Jean Fleury nous dit sans caractère et continuera à le faire tout au long de l’exécution.
Sur le déroulement de la campagne, l’auteur ne ménage pas ses critiques : la surprise initiale fut compromise, la veille du jour J, par un raid visant Saddam Hussein (2) ; la bataille aérienne fut incohérente ; la logistique ne put suivre le rythme de la progression. Mais la critique la plus neuve est celle-ci : l’ennemi, mésestimé, causa plus de problèmes qu’on n’en attendait. L’auteur nous paraît ici trop sévère. Certes, l’échec subi par les Apaches face à la Division Médine est patent et la prise de Bagdad ne fut pas la promenade qu’on a dite. Reste que celle-ci, fort dure en effet et menée de main de maître par le colonel Perkins, ne coûta aux Américains que deux morts, alors qu’il y en eut en face quelque 2 000.
Ces réserves faites, et la vraie campagne terminée, on ne peut que rejoindre le général sur les raisons du chaos qui s’est aussitôt instauré. L’optimisme des Américains les a détournés de préparer l’après-guerre. Les Irakiens en liesse acclameraient leurs libérateurs. On connaît la suite. Laissons à l’auteur le mot de la fin. La seconde guerre du Golfe a mis aux prises deux dirigeants incultes. George W. Bush contre Saddam Hussein : un duel de cancres. ♦
(1) Pour replacer les guerres du Golfe dans un cadre général et pour plus de commentaires sur leur déroulement, on se reportera, pour la première, à Un discret massacre (François Bourin, 1992), ouvrage que nous lui avons entièrement consacré, pour la seconde à la quatrième partie de La guerre, et après ? (Italiques 2004).
(2) On peut pourtant penser que, raid réussi, la guerre eût pu s’arrêter là !