L’auteur analyse ici la corrélation qui existe entre la puissance d’un État et le pourcentage de PIB qu’il consacre à son armement. Loin de la dénier, il entreprend de la calibrer en mettant en évidence la dialectique qui régule les dimensions opérationnelle et symbolique, les exigences de politique industrielle et celles d’économie de défense et explore le facteur européen. Ce faisant, il ramène l’action militaire à une juste place dans les tensions stratégiques actuelles.
Le budget d’armement, facteur de puissance ?
The arms budget: a factor of power?
The author analyses the correlation that exists between the power of a state and the percentage of GDP that it allocates to its arms budget. Looking beyond public funding aspects, he sets out to measure this correlation by describing the discussion processes that govern both operational and symbolic aspects and the pressures arising from industrial policy and defence savings; he also explores the European factor. In so doing he restores military action to its rightful place amongst current strategic tensions.
En 2007 paraissait en France un livre intitulé La puissance et la faiblesse : l’Amérique et l’Europe dans le nouvel ordre mondial, qui devait connaître un certain succès de librairie. Il s’agissait de la traduction d’un ouvrage dont la version originale avait été publiée en anglais en 2003 (1), peu après l’intervention américaine en Irak et la chute de Saddam Hussein. Son auteur, le néo-conservateur Robert Kagan, affirmait que les États-Unis devaient à leur puissance militaire écrasante de jouer le premier rôle sur la scène internationale. Au contraire, l’Europe avait cessé d’avoir la moindre influence dans le monde parce qu’elle refusait de faire un effort suffisant pour ses dépenses d’armement. Ce livre est sorti aux États-Unis alors que la présidence de George W. Bush était en pleine euphorie, à une époque où Robert Kagan pouvait se permettre de donner des leçons aux Européens. S’ils voulaient pouvoir eux aussi proclamer un jour « Mission accomplished », ils devaient suivre l’exemple américain et acheter beaucoup d’armes. Lorsqu’il est traduit en français en 2007, son ouvrage apparaît déjà comme une plaquette publicitaire commanditée par l’industrie américaine de l’armement, plutôt que comme un manuel de politique extérieure.
En 2010, les États-Unis n’ont pas atteint leur objectif de créer, dans un « grand Moyen-Orient » s’étendant jusqu’aux frontières de l’Afghanistan, des régimes démocratiques favorables aux intérêts économiques, financiers et pétroliers des États-Unis. Bien que leur budget militaire ait presque triplé depuis 2000, les troupes américaines quittent peu à peu l’Irak sans avoir rempli la mission assignée, et elles sont engluées en Afghanistan. Les mêmes régimes autoritaires et corrompus sont toujours en place au Moyen-Orient, et la solution du conflit israélo-palestinien semble plus éloignée que jamais. Dans toute la région, les sentiments antiaméricains se sont considérablement renforcés et développés.
Pourtant, la thèse de Kagan a été fréquemment reprise en France même par des parlementaires, surtout parmi les membres des Commissions de la défense de l’Assemblée nationale et du Sénat. Elle a été aussi soutenue par des commentateurs et par des journalistes, et l’expression la plus achevée en a sans doute été donnée par un éditorial du journal Le Monde (2). C’est le seul élément que l’on retiendra pour analyse, car il exprime de la façon la plus concise les opinions émises par ceux qui préconisent l’augmentation des dépenses d’armement.
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