C’est au constat désenchanté du moindre intérêt des Européens pour leur sécurité et de l’enlisement des entreprises dites de défense européenne que se livre l’auteur. Entre une Otan qui affiche sa sérénité sans masquer sa péremption à venir et une crise économique qui mobilise les énergies européennes pour restaurer les perspectives de prospérité, il y a peu de place pour les perspectives de sécurité ouvertes par le Traité de Lisbonne.
Perspectives pour la sécurité européenne en 2011
Prospects for European security in 2011
The author examines the disillusionment resulting from the realisation that Europeans have lost interest in their security and the lethargy of so-called European defence industries. Between a NATO that on the surface appears calm while failing to conceal its inevitable fate and an economic crisis that is mobilising European efforts to restore hopes for prosperity, there is little room for the prospects for security opened up by the Lisbon treaty.
Comparés à l’ampleur, la violence, l’imprévisibilité de la crise économique et financière qui bouleverse les fondements de la prospérité européenne, les enjeux de sécurité apparaissent, en ce début d’année 2011, relativement mineurs, contrôlables, sinon contrôlés. Pour les Européens de l’Union, le risque majeur est en effet économique : si le contrat de base de la construction européenne, celui d’une croissance continue et partagée entre un nombre toujours plus grand de citoyens, était rompu, c’est l’ensemble de l’édifice qui risquerait le délitement. Pour les Européens de l’Otan, le risque majeur se joue bien au-delà des frontières européennes : c’est l’issue du conflit en Afghanistan qui décidera en partie du sort de l’Otan et de la relation transatlantique. Pour tous, Européens et Russes, l’heure est moins à la confrontation des intérêts stratégiques qu’à la recherche, certes chaotique, de nouvelles formes de coexistence voire de coopération. Autrement dit, le dossier « sécurité » n’est pas, ou plus, la priorité de la plupart des gouvernements européens. Cette atonie stratégique ne signifie nullement que le monde est devenu plus calme, plus juste, plus pacifique. Bien au contraire. La mondialisation a ceci de particulier sur le plan stratégique, qu’elle révolutionne la plupart des fondements traditionnels de la sécurité, rendant le contexte international extrêmement illisible, complexe, incertain. Mais l’urgence européenne n’en est pas moins à la restauration de la prospérité intérieure davantage qu’à la promotion, voire à la simple gestion, de la sécurité extérieure.
Quels enjeux de sécurité pour le continent européen ?
Vu d’Europe, l’environnement international cumule pourtant, au minimum, trois priorités. La dégradation du Sud représente un défi majeur. Tous les indicateurs sont au rouge pour cette région, qu’il s’agisse du Moyen-Orient ou de l’Afrique subsaharienne. Au total, cette zone représentera en effet d’ici vingt ans 1,5 milliard d’habitants, très jeunes, dont plus de la moitié dans un état d’extrême pauvreté, alors que les dégradations environnementales et l’accès aux ressources d’eau potable représenteront des défis collectifs vitaux. La probabilité de conflits locaux et régionaux, sur fond de compétition pour les ressources naturelles, domine en Afrique. Le nombre de pauvres y atteint 303 millions aujourd’hui contre 160 en 1981, et les prévisions suggèrent que, si rien n’est fait pour inverser cette tendance d’ici vingt ans, 38 % de la population africaine sera en état d’extrême indigence. Au Moyen-Orient, c’est la permanence d’un arc de crises majeures – Israël-Palestine, Liban, Irak, Iran – qui obère toute possibilité de développement et de stabilisation. Même avec la nouvelle politique de Barack Obama, aucune dynamique de stabilisation ne se dessine dans la région. Le conflit israélo-palestinien s’enferre dans le cycle colonisation-terrorisme-radicalisations politiques, le Pakistan devient de plus en plus perméable aux affrontements jusqu’ici circonscrits à l’Afghanistan, la question de la prolifération nucléaire, à partir de l’Iran, pourrait remettre en cause l’équation stratégique régionale avec des effets en chaîne incalculables.
L’éclatement de la question russe constitue une égale priorité. La Russie est l’un des États dont l’évolution est la plus incertaine. D’un côté, un certain enrichissement porté jusqu’à la crise de 2008 par la hausse des prix de l’énergie, qui pourrait assurer la modernisation progressive de l’économie russe et l’interdépendance avec les marchés européens. De l’autre, un retour de l’autoritarisme politique à l’intérieur, doublé d’une contestation stratégique, parfois violente, à l’égard de l’ordre européen issu de la fin de la guerre froide. Une stratégie de grande puissance nucléaire, plus ou moins coopérative avec la puissance américaine d’un côté et de l’autre une stratégie de puissance européenne crispée sur une définition contestable de ses intérêts vitaux. Le tout, sur fond de déclin démographique spectaculaire (la Russie devrait perdre 10 % de sa population au cours des vingt prochaines années). La question russe (Quelles frontières ? Quel régime politique ? Quelle influence stratégique ? Quelle identité ?) risque ainsi de dominer la scène stratégique européenne, pour un temps long.
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