La corrélation entre dissuasion nucléaire et bouclier antimissiles pose des questions sensibles sauf si l’on s’attache à les différencier dans leurs calendriers, effets recherchés et leurs réalisations concrètes. L’auteur nous expose cette dialectique complexe en sept points.
Défense antimissiles et dissuasion nucléaire : un jeu contradictoire, exclusif ou complémentaire ?
Missile defence and nuclear deterrence: a paradoxical, exclusive or complementary game?
The relationship between nuclear deterrence and a missile defence shield poses sensitive questions unless one tries to differentiate between them by timescale, intended effects and actual achievements. The author describes this complex dialectic under seven subheadings
Les systèmes antimissiles prévus dans le cadre de l’Otan affaiblissent-ils la dissuasion nucléaire ? Large question, régulièrement posée dans l’actualité immédiate. Les réponses sont souvent proches – hors scénarios complexes – et pourtant cette question est récurrente. Est-ce un problème de mémoire ? Est-ce un exercice économico-industriel, distinct et autonome du concept même de dissuasion nucléaire ? Souhaite-t-on être rassuré, conforté ? Pour tenter d’y répondre, il nous faut prendre la question par les deux extrémités.
La première approche est celle du discours de la dissuasion nucléaire
Nous pouvons observer que malgré les projets antimissiles déposés par les États-Unis et l’Otan, malgré le maintien des ABM (Anti-Ballistic Missiles) russes Gorgon et des Gazelle pour la protection de Moscou et les ATBM (Anti-Tactical Ballistic Missile) inscrits dans les ordres de bataille de plusieurs États, l’avenir de la dissuasion nucléaire ne semble pas fragilisé. En outre, la réalité est plus prosaïque que le « Global zero » et le principe de réalité a pris le dessus sur les chimères. Les États-Unis conserveront longtemps encore leur potentiel nucléaire sachant que pour atteindre l’horizon de « zéro armes nucléaires » on devra préalablement avoir résolu les problèmes complexes et inextricables de la prolifération nucléaire. Et à observer l’actualité et les programmes nucléaires actuels ou prévus aux États-Unis, en Corée du Nord, en Inde, au Pakistan, en Chine, en France, en Russie sans compter les pays dits « du seuil » ou « ambigus » comme Israël ou l’Iran, l’avenir n’est pas au désarmement. Il est plutôt, et dans une proportion variable selon les États, à l’accroissement des potentiels, à la posture d’attente ou à la préservation des outils protégés de cette seconde frappe assurée qui fonde la dissuasion. Le dossier « iranien », tout comme les lectures plurielles de la posture israélienne, alimentent les doutes et les politiques de précaution ; sans compter la disproportion entre les arsenaux et le « sac de nœuds régional » complexe qui implique le quatuor nucléaire que forment Russie, Inde, Chine et Pakistan. À titre d’exemple, le chiffre officiel de septembre 2009 à propos du nombre de têtes nucléaires américaines actives et de réserve active est de 5 113 charges (hors charges désactivées par retrait du tritium), pour une fourchette de 6 000 à 9 000 chez les Russes, moins de 300 têtes pour la France (déclaration officielle du 21 mars 2008) et de 225 têtes (dont 160 opérationnelles) pour le Royaume-Uni (déclaration officielle du 26 mai 2010). Dans ce jeu comparatif, les États dits « du seuil » et les puissances nucléaires dites tierces ou secondaires souhaiteront conserver une sorte d’assurance-vie ou d’outil de négociation diplomatique face aux puissances nucléaires majeures que sont la Russie et les États-Unis. D’évidence, aussi, les pays « proliférateurs » s’engagent prioritairement dans le nucléaire sanctuarisant, plutôt que dans l’édification en premier de systèmes antibalistiques.
« Tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, l’Otan devra demeurer une alliance nucléaire ». Tel est le principe annoncé par le Secrétaire général de l’Otan le 15 octobre 2010 dans les locaux de l’Ifri. Cette conférence, organisée en partenariat avec l’ambassade royale du Danemark en France et à laquelle s’est associé le Laboratoire de recherche sur la défense (LRD) de l’Ifri, a porté sur « Les défis de l’Otan : nucléaire et défenses antimissiles » ; réforme de l’Alliance ; Afghanistan ; « Fatigue stratégique » et démilitarisation de l’Europe. Le rapport des « Sages » (1) sur le Concept stratégique présidé par Madeleine K. Albright recommandait déjà que « tant qu’il y aura des armes nucléaires, l’Otan devra maintenir des forces nucléaires sûres et fiables, au niveau minimum requis par l’environnement de sécurité du moment, en partageant largement les responsabilités pour ce qui est de leur déploiement et de leur soutien opérationnel. Tout changement de cette politique, y compris dans l’implantation géographique des déploiements nucléaires en Europe, devra être décidé, comme il en va pour les autres questions d’importance majeure, par l’Alliance tout entière ». Aussi, la question de savoir si le projet antimissiles Otan et américain va, à terme, accélérer le retrait des armes nucléaires américaines d’Europe n’est pas vraiment abordée quand bien même les Alliés ne sont pas tous sur la même longueur d’onde : Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Norvège défendant ce lien ; pays alliés de l’Est européen, Français et Britannique le refusant, le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, suivant ces derniers dans cette lecture dissociative. Au final, la lecture du nouveau concept stratégique adopté fin novembre à Lisbonne stipule le maintien du nucléaire résiduel américain en Europe tant que le nucléaire existe ailleurs. Cependant, la réflexion sur l’avenir du nucléaire de théâtre en Europe est loin d’être close.
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