Memento militaire
Memento militaire
« L’histoire de l’institution militaire n’est pas une simple affaire de batailles, loin de là, par-delà les batailles sur le terrain, il y a la Politique, c’est-à-dire une conception de la vie en société ». Cette phrase placée en début de la conclusion du livre, condense la réponse au « de quoi s’agit-il ? » que pourrait amener un rapide survol de ce curieux ouvrage à la présentation parfois touffue.
Curieux en effet car s’il s’agit bien de l’évolution historique de l’institution militaire au sein de la société française, l’auteur, fidèle à ses méthodes – voir ainsi les trois tomes de son précédent ouvrage présenté dans la revue : Aux sources officielles de la colonisation française – aborde le sujet au travers de la politique et celle-ci se manifeste d’abord par la promulgation de textes dont les strates successives permettent de reconstituer et d’éclairer cette histoire.
On ne sera donc pas surpris de trouver de nombreuses annexes s’intercalant entre les chapitres et fournissant soit les nomenclatures, soit les extraits (d’une partie) de la multitude de textes édictés depuis… le traité de Westphalie. En fait, la première partie traitant de ce lointain passé jusqu’à juin 1940 est « expédiée » en 60 pages, on y note cependant un « détail » qui en surprendra plus d’un : la loi de 1849, signée Louis-Napoléon Bonaparte, sur l’état de siège est toujours « valable et inscrite dans le code de la Défense »…
Mais à l’évidence la priorité de l’auteur va à la période s’étendant de 1940 à nos jours. Le premier chapitre consacré à l’évolution générale de cette période contemporaine met l’accent sur « le grand tournant de juin 1958 » et ce qui s’ensuit ; le général de Gaulle est investi président du Conseil le 1er juin et, dès le 10, le décret fixant les attributions du ministre des Armées (les secrétaires d’État à la Guerre, la Marine et l’Air disparaissent) est publié… En annexe à ce chapitre, des extraits d’un livre de Pierre Messmer précisent certains points.
Le second chapitre est consacré à l’évolution de l’Administration centrale. Celle de la partie armement est relativement développée depuis la Délégation ministérielle de 1961, devenue Délégation en 1977. Les avatars de la DCN sont mentionnés, le rôle de la DAM n’est pas oublié de même que les créations de la Simmad et du Siaé. Quant à l’X, dont sont issus les ingénieurs de l’armement, l’auteur la verrait bien rattachée à l’enseignement supérieur quitte à ce que l’absence des bicornes nuise à l’attrait du défilé du 14 juillet (boutade ?). Sont ensuite étudiés, plus brièvement, le poste du Secrétaire général pour l’administration (inoccupé de 1986 à 1988) et de celui du chef d’état-major des armées avec pour terminer une question (ingénue ?) : « On peut se demander si les chefs d’état-major de chaque armée ne se trouvent pas dépossédés et réduits à la portion congrue ».
Le chapitre 3 est consacré à l’évolution des structures territoriales, dont les FFA, où l’auteur – qui, rappelons-le, a servi, depuis ses premiers postes dans le delta du Tonkin puis dans les djebels avec ses tirailleurs sénégalais, plus de vingt ans dans l’Armée de terre avant de réussir le concours du contrôle général – n’en stigmatise pas moins l’acharnement de celle-ci à conserver des structures devenues sans intérêt.
Le suivant rappelle quelques données sur les différents Livres blancs tandis que le cinquième rassemble des « éléments pour une histoire sommaire des armées ».
Dans la partie Méthodes (opérationnelles, administratives, mixtes) l’auteur analyse de nombreux thèmes dont : recherche opérationnelle, prospective, programmation, etc. Dans les chapitres 9 à 14, il ne fait qu’aborder des questions toujours d’actualité : besoins en effectifs, réserves, recrutement, concertation depuis 1969, rémunération, protection sans oublier la féminisation.
Last but not least, la dernière courte partie, « L’Avenir », lui est l’occasion de résumer ses conceptions sur l’institution militaire et son évolution. Réaffirmant sans ambiguïté la permanence de l’adage romain, cedant arma togae, il s’appuie sur les évolutions décrites dans les 450 pages précédentes dont la suspension du service national et la professionnalisation des armées pour en tirer les conséquences. Représentant aujourd’hui, une infime partie des agents de l’État, les militaires devraient être sur le même pied et disposer des mêmes droits que les autres. Il écrit ainsi : « …la prétendue spécificité du statut militaire tend de plus en plus à devenir une ‘‘uchronie’’ en marge de l’évolution même de la société… les militaires sont des citoyens comme les autres, accomplissant une mission de service public… ». Allant plus loin, il propose «… les anciennes fonctions régaliennes : défense, justice, police doivent être confirmées en tant que telles et régies par un statut général unique… ».
Pour n’être pas nouvelles et, plus ou moins, en pratique chez certains de nos voisins ces idées amèneront probablement le lecteur à s’interroger : la (ou les) spécificité militaire peut-elle se réduire à ses seuls aspects législatifs ou réglementaires ? La fonction publique française n’est-elle pas, entre toutes… spécifique ? Concrètement et en bref, on peut regretter que l’auteur n’ait accordé que quelques lignes à la Gendarmerie et juste mentionné son rattachement à l’Intérieur car cette mesure constitue un cas d’école dans l’hypothèse du statut unique qu’il propose… mais sans nous dire si, pierre de touche par excellence, sa faveur va à la suppression des syndicats pour les policiers ou à leur présence chez les gendarmes. Peut-être le fera-t-il dans un prochain ouvrage aussi richement documenté que celui-ci. ♦