En présentant les travaux de réflexion que va conduire le CSFRS le 8 juin, l’auteur détaille l’ensemble des questions centrales que se pose un monde en transition et qui aborde, sans tabous, la question de la durabilité des systèmes qui l’organisent aujourd’hui.
Avant-propos - Flux et tensions stratégiques, les États à la croisée des chemins
Currents and conflicts: states at a strategic crossroads
The author describes the programme of studies which the High Council for Strategic Education and Research will present on 8 June, detailing the crucial questions posed by a world in transition and which question the durability of the systems which govern it today
À quel rythme va le monde ? À l’heure des soubresauts multiples qui ébranlent de toutes parts la planète, est-il encore utile de savoir où nous allons ? Il semble que désormais le temps et la vitesse comptent plus que l’espace et demain, l’accélération plus que la vitesse…
Dès lors comment ne pas mettre en avant dans la réflexion stratégique la question des flux, c’est-à-dire du mouvement dans le temps et l’espace des individus, des objets, des ressources, des informations ? Partant, les territoires et les frontières physiques, humaines ou intellectuelles sont-ils encore pertinents ou simplement opératoires ?
Quelles sont les forces qui dictent ou simplement orientent ces mouvements ? La France et l’Europe ont-elles encore la maîtrise d’un destin commun aux fondements enracinés dans l’Histoire ? La mondialisation est-elle synonyme d’occasions, d’ouvertures, ou révélatrice d’impuissance et de résignation ? À quoi pouvons-nous prétendre ? Nos États post-westphaliens sauront-ils faire face au mouvement ? Qu’espérer ? Trop de questions auxquelles l’esprit humain ne sait répondre seul et qui alimentent le mal-être d’une époque de transition.
Fidèle à sa méthode, le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques, le CSFRS, se propose, avec l’Institut des hautes études de défense nationale et l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, d’y consacrer une journée de remue-méninges, le 8 juin prochain à l’École militaire. Autour des auditeurs des sessions nationales de ces instituts, des représentants des membres du CSFRS, des administrations, de l’université et des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce, de l’entreprise, des médias, il s’agit de rassembler une communauté où la parole est libre parce que la pensée s’efforce de l’être. Sans lien direct avec une actualité qu’il faut dépasser, il s’agit de déclencher et d’animer cette dynamique nécessaire de réflexion stratégique qui permet de prévoir afin de pouvoir.
Au-delà de la vision statique d’un point de départ, quoique nécessaire pour, en termes quasi-pascaliens, se contempler sans complaisance, il est proposé d’ouvrir le débat selon quatre séries de questions : les cyber-questions si un tel néologisme peut être tenté, la question des flux, celle, aussi fondamentale que centrale, de nos modèles stratégiques, avant d’ouvrir celle des conditions d’un avenir durable. Car il faudra choisir.
Faut-il ainsi confiner le cyber-débat aux spécialistes ? Les auditeurs des instituts y ont réfléchi ensemble ces derniers mois ; ils s’y refusent. Entre peurs irraisonnées et naïvetés, il est temps d’avancer : le cyberespace doit devenir ce lieu de développement où les experts soient force de proposition dans le cadre de partenariats public-privé intelligemment compris.
Quels sont les réels enjeux de puissance autour des flux ? La question est-elle celle des déterminants énergétiques, celle de la maîtrise collective des ressources naturelles ? Comment aborder menaces et risques, naturels ou humains, sans oublier les occasions nouvelles offertes et nos propres facteurs de force et de développement ? Il s’agira là de croiser la vision géopolitique avec les perceptions de l’ingénieur sur ces questions.
Au-delà se pose, de manière latente mais bientôt exigeante, celle de nos modèles stratégiques. Modèles conceptuels et de pensée tout d’abord : l’État-nation, dans l’acception occidentale née des traités de Westphalie, a-t-il encore un avenir ? Peut-il encore être proposé à des millions d’êtres humains qui ne s’y sont jamais, avouons-le, vraiment reconnus ? Ne participe-t-il pas ainsi à l’incompréhension qui se manifeste de manière récurrente et, parfois, violente, entre des peuples dont l’histoire comme la culture ne le cèdent en rien à celles du monde occidental. Modèles de gouvernance ensuite : les organisations internationales, de l’utopie de la Société des Nations, née des massacres guerriers de la Première Guerre mondiale, aux espoirs suscités par l’Organisation des Nations unies au lendemain des premiers – et à ce jour derniers – usages de l’arme atomique en 1945, les organisations régionales, en Europe ou ailleurs, semblent largement impuissantes à faire face au désordre. D’où l’incessant ballet diplomatique qui pourrait tendre à faire croire que celle-ci réussirait là, où celle-là aurait échoué.
De manière quasi-ontologique se pose alors la question de la durabilité : est-elle un enjeu stratégique ? Le terme, lui-même néologisme ou barbarisme – laissons les puristes en décider – interpelle : pérennité, robustesse, résilience ? Chaque mot est marqué par celui qui le définit, connoté, source d’enthousiasme ou d’anathème. Sont-ils seulement liés ? La question semble loin d’être tranchée. Quel rôle les représentations scientifiques jouent-elles en la matière ? Comment la question s’analyse-t-elle en terme social ? Quel crédit accorder aux modèles, notamment financiers ? Comment analyser la démarche française depuis plusieurs décennies, en matière de choix énergétiques, par exemple ?
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À ce stade, il n’y a pas d’autre choix que d’accepter la confrontation de regards extérieurs, européens, américains, puissances émergentes, asiatiques, africaines. Quelle image donnons-nous de nos propres visions stratégiques ? Le débat est fait d’échanges parce que « l’important, c’est ce que perçoit l’autre ». Les Assises en sont le lieu.
Il convient enfin que la conclusion de ces débats soit politique, ce que revendique le CSFRS. Parce que la politique doit rester au cœur d’un débat citoyen qui n’occulte aucune des questions abordées et que le politique, seul, peut le mettre dans une perspective stratégique. ♦