Derrière la qualification d’État failli, se cache une grande variété de positions qui toutes ne sont pas de désordre et d’irresponsabilité. La Corne de l’Afrique présente une combinaison de structures quasi-étatiques dont l’auteur suggère qu’elle pourrait préfigurer la diversification de l’État au service de l’Afrique.
Pour une nouvelle approche de l’État en Afrique : le cas de la Somalie
A new approach to the state in Africa: the Somali case
The label of ‘failed state’ hides a wide variety of situations which are not all ones of disorder and irresponsibility. The Horn of Africa presents a variety of quasi-state structures which the author suggests could prefigure the diversification of the state in Africa.
Les qualificatifs ne manquent pas pour tenter de décrire la situation somalienne : « État failli », « balkanisation », « chaos », « désintégration », « territoire non gouverné »… Il est vrai que, depuis 1991 et la chute de Siyaad Barre, l’État somalien n’existe plus. Bien sûr le Gouvernement fédéral de transition (GFT) assure la représentation du pouvoir central mais il ne contrôle qu’une faible partie de l’espace somalien et même de la capitale Mogadiscio. Sa légitimité auprès de la population est presque nulle. De fait, toute tentative de mise en place d’un pouvoir central depuis vingt ans a échoué. Les choses sont claires : il n’y a pas d’État sans souveraineté interne, pas d’État s’il n’est plus capable d’imposer ses décisions. Néanmoins faut-il qualifier l’État en fonction de ses « performances » ? La Somalie fonctionne même si le GFT n’est pas « performant ». Le risque est de vouloir reconstruire un État parce qu’on le décrit comme « failli », ce que Gérard Prunier explique ainsi : « Les idées des “réunificateurs” étaient simples, pour ne pas dire simplistes : il y a eu un État somalien, il a disparu, il faut le reconstituer. La question des raisons qui avaient présidé sa disparition n’était pas posée [et c’est] la cause principale de l’échec de l’ONU entre décembre 1992 et mars 1995 ». Si l’État n’existe pas au sens wébérien du terme, tel qu’on le connaît en Europe, la Somalie n’est pas aussi chaotique qu’on nous la présente.
Aller plus loin que le chaos somalien
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un ordre social interne existe en Somalie. D’une part, rappelons que la Somalie est découpée en trois : au Nord, le Somaliland indépendantiste ; au centre, le Puntland autonomiste (cette région n’a pas fait sécession, elle est représentée au sein du GFT, mais s’estimant sous représenté elle a rompu en janvier 2011 ses relations diplomatiques avec le GFT) et au Sud, la Somalie dirigée officiellement par le GFT, mais concurrencée par l’insurrection des islamistes. La première entité fonctionne comme un État (monnaie, institutions, forces de l’ordre, relations interétatiques avec ses voisins…). Pour retrouver les frontières du British Somaliland, une colonie distincte de la Somalia Italiana dont elle a obtenu son indépendance séparément, il ne lui manque que la reconnaissance des autres États. Le Puntland a sa propre constitution qui, en théorie, assure la séparation des pouvoirs bien que le président Abdirahman Mohamed Mohamud Faroole domine largement et que les rapports de force sont gérés par les armes. Donc les deux tiers du pays sont relativement paisibles. L’instabilité se situe au Sud et la Somalie en tant qu’entité unie sous ce nom n’a existé qu’entre 1960 et la fin des années 80.
D’autre part la société Somali est une société lignagère organisée claniquement. La volonté des puissances extérieures de vouloir réguler la violence par l’instauration d’un pouvoir central représentant proportionnellement chaque clan est une hérésie. Dans ce type de société il n’existe pas de structures formelles d’autorité. Le pouvoir politique est présent à chaque niveau segmentaire et le chef doit sans cesse gagner le respect du groupe. L’individu n’est pas distinct du clan (une parenté). Ces groupes passent entre eux des contrats souvent ponctuels (Xeer) et ce type de lien politique ne permet pas d’identifier de groupes fixes. Ce cadre est un cadre parmi d’autres de la lutte sociale et politique au sein d’un territoire même si la flexibilité des alliances est un frein à la stabilisation et la résolution du conflit.
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