La spécificité du projet européen conjuguée à la nature dégradée du système international ne favorise pas l’européanisation des intérêts stratégiques nationaux. Quant à la capacité normative européenne qui n’impose pourtant pas l’abstention militaire, elle est insuffisante pour éviter l’impuissance et la paralysie de l’Union européenne que déplore l’auteur.
Comprendre la paralysie européenne (2/2)
Understanding European paralysis(2/2)
The particular nature of the European project combined with the flagging state of the international system does not favour the Europeanization of national strategic interests. The European Union’s prescriptive ability, although it does not sanction military abstention, is not adequate to avoid the powerlessness and paralysis which the author deplores.
Vingt ans après la Bosnie, plus de dix ans après Saint-Malo, l’Europe semble toujours aussi incapable de parler d’une seule voix et d’agir de manière unie, cohérente et stratégique. Les divisions européennes vis-à-vis de l’opération humanitaire en Libye sont l’illustration la plus récente de cette paralysie. Au-delà du cas libyen, où en dépit de l’abstention des uns et de l’unilatéralisme des autres, une action internationale a néanmoins été improvisée, l’ambition diplomatique et stratégique de l’Union est en berne. En son sein, dans son voisinage immédiat ou dans le concert des grandes puissances, l’Union est fragilisée.
La spécificité du projet européen
Analystes et experts attribuent traditionnellement cette faiblesse européenne à la nature particulière de l’identité et du projet européen et à la spécificité des politiques communes qui en sont l’expression. Dans sa version la plus radicale, l’argument revient à dire que l’Europe n’étant pas un État au sens wébérien du terme, elle ne peut en réalité articuler une stratégie et une diplomatie véritables, qui demeurent une prérogative essentiellement régalienne. Outre les défauts inhérents à l’exercice même d’une « grande stratégie », l’Europe présente une carence supplémentaire : son discours paraît peu crédible dès lors que son application dépend in fine du bon vouloir des capitales, une modalité dont Moscou, Pékin et Washington sont très conscients. Sans réelle influence sur le plan international, la valeur ajoutée d’une stratégie européenne se réduit au mieux à une clarification interne, au pire à un exercice futile (1).
Dans leurs versions moins manichéennes, ces arguments soulignent au niveau de l’Union le manque d’infrastructures adaptées, de capacités organisationnelles suffisantes et de moyens militaires adéquats. Cette capacité administrative est nécessaire à la fois dans la formulation, la cohérence et l’application d’une diplomatie européenne efficace. Dans ce que les théoriciens des relations internationales appellent une perspective réaliste néoclassique, cette qualité est un des fondements essentiels de l’action internationale et de l’efficacité diplomatique (2). Bien entendu, la prise de conscience européenne dans ce domaine fut réelle, et ce, depuis l’exercice de la convention dès 2002. Mais la mise en œuvre du Traité de Lisbonne, dont les avancées les plus notables concernent les affaires étrangères, est plus délicate que ses rédacteurs l’avaient supposé et les États-membres anticipé. Sans entrer ici dans les arcanes juridiques et politiques des batailles typiquement bruxelloises liées au poste de ministre des Affaires étrangères et au service d’action diplomatique extérieure (3), il semble clair que l’équilibre reste précaire entre les différentes présidences de la Commission et du Conseil, sans parler de l’intrusion de plus en plus fréquente du Parlement dans ces domaines. En théorie, le processus devait favoriser une socialisation et une cohésion croissantes entre acteurs disséminés à la fois entre pays membres mais aussi entre différents ministères souvent cloisonnés et relevant de cultures stratégiques divergentes. À terme, il devait déboucher sur une prise de conscience progressive d’un intérêt proprement européen (4).
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