Il faut supprimer l’armée française
Il faut supprimer l’armée française
Lecteur, en lisant ce titre provocateur ne couvre pas de cendre mortifère ta tête affligée. Inquiète-toi plutôt du redoutable constat fait par l’auteur sur l’état de ton pays. Résumons cette aimable pochade : à quoi bon garder une force militaire devenue inconsistante, « bombe » comprise. Elle tombe des mains tremblantes d’un vieux peuple fatigué, totalement dépassé par les nouveaux rapports de force internationaux au milieu desquels il ne fait qu’agiter ses vieilles lunes obsolètes.
Arrêtons de lutter en nous inscrivant dans des théâtres qui ne sont plus à notre portée. Soumettons-nous aux forces montantes pour ne pas risquer des désagréments que la nation tout entière, dirigeants compris, serait bien incapable de supporter. Liquidons une bonne fois pour toutes le barnum militaire. Rabattons-en et replions nos jupes sous quelque ombre tutélaire. Mettons notre argent ailleurs, dans la vraie guerre, celle de la culture et de l’économie pour mieux protéger notre douceur de vivre. La France, qui est celle des jardiniers et non pas celle des guerriers, enfin remisée à sa place naturelle qu’en 1940 déjà nous promettait le Führer à coups de bottes ! Hop là, fin de l’histoire. « Plutôt la servitude que la guerre » disait déjà Giono, un précurseur celui-là ! Retour aux fondamentaux. Rideau.
Voilà pour la lecture rapide d’un texte qui mérite cependant une étude plus attentive. C’est que le diable se cache dans les détails. L’épigraphe empruntée à feu Jean Dutourd suffit déjà à nous éclairer : il s’agit avant tout d’un traité, avec ses contradictions, à l’usage des désespérés de la vigueur nationale. Voyons cela de plus près.
Face à notre puissance déclinante, nos gouvernants perdent progressivement leur aptitude à imaginer, vouloir, commander, obtenir. Dans un avenir proche, l’État français s’effacera devant les institutions européennes pour devenir l’administration d’une super-région. Il y sera amené par les méthodes douces du modèle culturel, de l’immigration et de la domination économique. La seule issue favorable serait de se ménager un nouveau positionnement en s’appuyant sur la richesse économique et la conscience morale. Trouver le salut dans un affaiblissement supplémentaire car nous sommes dépassés.
Depuis la domination romaine la guerre n’a jamais été aussi absente de l’histoire. Les puissances émergentes ont d’autres soucis que de faire la guerre, les trublions exotiques sont affaires de police et de renseignement et une agression à l’ancienne est d’occurrence quasi nulle. D’ailleurs pourrions-nous résister efficacement ? Le recours à la « bombe » est une illusion. La guerre nucléaire, qui n’est qu’un suicide, n’existe que dans les phantasmes des stratèges. Croit-on que des hommes incapables d’affronter un collectif d’étudiants oseraient appuyer sur le bouton dans un pays dont les habitants ont peur de tout, qui ne supporte rien et refuse le risque. Désormais, dans nos sociétés évoluées, la guerre se situe hors du champ de l’imaginable. Quant aux armées, un outil dont nos dirigeants mégotent l’équipement malgré tous les appels « à ne pas baisser la garde », elles sont devenues inutiles, l’éternelle rivalité des peuples s’étant transformée pour l’essentiel en guerre économico-culturelle permanente, menée par les Fonds souverains et une bombe ultrapropre, elle, l’argent.
Quant à l’armée européenne, elle n’existe pas car personne n’en a voulu, n’en veut, ni n’en voudra. Pour trois raisons, outre le nationalisme, l’égoïsme et l’incapacité des dirigeants de traiter les vraies questions : le nucléaire français et britannique, l’absence d’une union politique et l’impérialisme américain.
Que faire sans Europe de la défense ? Le coup de collier salvateur est inenvisageable, quant à l’alliance de revers avec la Russie, voire la Chine… L’Otan et le parapluie américain restent actuellement ce qu’il y a de plus solide dans le contexte stratégique classique. Tout conflit important nous cantonnera dans le rôle de victime et/ou de spectateur. Ce qui justifie une défense passive perfectionnée, pas une armée importante. Nous dépensons 10 % du budget de l’État pour la défense militaire, alors que nous réagissons mollement aux vraies agressions en cours qui mettent en péril notre existence en tant que peuple et en tant que culture par celle des autres et de leur argent. Ne renouvelons pas l’erreur de 1914, acceptons de féconder notre pays en l’ouvrant à plus fort. Devant nous, un monde plongé en pleine guerre économico-culturelle. Elle nous terrifie et nous refusons la compétition féroce qu’elle impose en inventant un pacifisme économique qui autorise un droit naturel à la jouissance de nos acquis. Cette incroyable inadaptation au monde actuel est en train de sceller notre destin. Nous devons nous battre pour éviter la mort économico-culturelle ; nous devons nous battre dans le cadre d’opérations légitimes à mener en qualité de gendarme.
Nous ne devrons pas nous battre dans le cas d’une guerre nucléaire ou conventionnelle majeure qui est sans espérance et dont les dommages excéderaient ceux engendrés par une reddition. C’est une forme de courage qui consiste à refuser le combat, à faire le gros dos en attendant des jours meilleurs. Il faut démanteler notre force de frappe, supprimer le plus gros de nos forces conventionnelles pour utiliser les économies dégagées sur le front économico-culturel.
Une grande puissance est une nation capable d’imposer sa volonté aux autres grâce à son pouvoir économique majeur, un modèle de société attractif, l’arme nucléaire et des forces conventionnelles sans égales. Dans cette configuration, la France est hors jeu. Le renoncement à notre outil militaire serait en réalité une option positive, volontaire et grandiose pour l’avenir. Les raisons de ne pas le faire, rang, Conseil de sécurité, politique africaine, Dom-Com, emploi et autres ne sont que de vieilles fariboles dont il faut se débarrasser au plus vite.
Mais l’existence de notre armée est pourtant le seul domaine où il y a unanimité, c’est le trou noir de notre univers sociopolitique. Peur de se montrer sans défense, peur de se montrer lâche, goût de l’effort, du danger, du dépassement de soi et sauvegarde des intérêts de tous ceux qui en vivent. Car l’histoire aristocratique et guerrière a profondément imprégné les consciences, dans tous les sens du terme, y compris le sacré ; guerre et armée font partie du paysage. Il sera donc difficile de se faire à l’idée de la nécessité de tourner le dos à la souveraineté traditionnelle et à son corollaire la puissance militaire, alors même que nous avons suivi une partie du chemin vers une société désarmée.
L’auteur nous expose donc vigoureusement, avec tout de même quelques solides contradictions dans l’exposé, en particulier dans les passages économiques qui sont assez plaisants, les conséquences à court terme du refus de puissance dans un monde en devenir qui ne nous fera aucun cadeau. Mais au fond, son discours arrive comme les carabiniers. L’essentiel du chemin vers une société française désarmée, hors « bombe » qui ressortit plus du domaine de la spéculation métaphysique que de l’action, est quasi réalisé de fait. Les armées françaises n’ayant plus, au sein de coalitions de circonstance que la capacité de soutenir, avec des soldats qui se tiennent encore, quelques opérations d’une police internationale chère à l’auteur.
Penser la guerre limitée est une obligation dans une « démocratie durable ». Avec le solide constat de Pierre-Marie Guillon, nous n’en prenons pas le chemin. ♦