Pour passer de l’émergence au développement pacifique, la Chine peut-elle se passer d’alliances ? Se suffit-elle d’une coopération sécuritaire régionale ? Comment associe-t-elle son voisinage à ses intérêts et à sa sécurité ? Tentative de réponse par une spécialiste.
La Chine et les systèmes d’alliances
China and its alliance structure
Can China forgo alliances as it treads the path from emergence to peaceful development? Is regional security cooperation sufficient for its purposes? How can it associate its neighbours with its interests and security? This article offers some suggestions from a specialist.
Depuis les années 2000, la Chine a développé une rhétorique qui se voulait rassurante pour ses voisins, inquiets devant sa montée en puissance politique et économique. Le thème de « l’émergence » puis du « développement pacifique » s’est voulu la réponse, plus ou moins convaincante, en Asie et ailleurs, à ceux qui dénonçaient la « menace chinoise » et la posture souverainiste de Pékin. Au demeurant, tout en pratiquant une politique de bon voisinage, les dirigeants chinois n’ont aucunement renoncé aux attributs du hard power. Ils estiment que pour être respectés, un État doit disposer des mêmes capacités stratégiques que ses partenaires et adversaires. Ces capacités, puissance nucléaire, balistique, marine océanique, outils de projection, visent à lui donner les moyens de défendre ses intérêts régionaux et globaux. Elles doivent également lui permettre d’acquérir la stature d’un acteur responsable, engagé dans la défense de la sécurité internationale. Interdépendance oblige, la participation grandissante de la Chine aux opérations de maintien de la paix des Nations unies (1), son soutien à la lutte contre le terrorisme depuis 2001 (2) et son implication dans la lutte contre la piraterie au large de la Somalie depuis 2009, parallèlement à la modernisation accélérée de son outil militaire, témoignent de cette volonté de prendre en compte des intérêts de sécurité communs et des menaces transnationales. Pour autant, la Chine, qui perçoit les traités de défense ou accords de sécurité que Washington entretient avec le Japon, la Corée du Sud et Taiwan comme dirigés contre elle, n’a de cesse de dénoncer tout pacte ou système d’alliances militaires et selon sa rhétorique, la « mentalité de guerre froide » qu’ils entretiennent en Asie.
Une vision sino-centrée de la sécurité collective
Les déterminants de la posture stratégique chinoise contemporaine définis par Deng Xiaoping dans les années 90 sont connus : il s’agit pour Pékin d’entretenir un environnement favorable à son développement économique et à sa stabilité intérieure. Cette doctrine ne masque pas la profonde ambiguïté de la pratique diplomatique chinoise dont la modestie et l’humilité proclamées se traduisent par une culture de la dissimulation et de l’action indirecte (3). Tout en prônant des relations harmonieuses, exemptes de conflits, cette dernière, d’essence pragmatique, renvoie à une Realpolitik digne de Kissinger. Reflet d’une réelle volonté de puissance, elle n’a pas tardé à entrer en conflit avec le souhait américain comme de la plupart des pays occidentaux d’une prise de responsabilité stratégique chinoise plus engagée dans la gestion de la sécurité internationale. Or jusqu’à présent, la participation chinoise est restée limitée. Les dirigeants chinois, peu soucieux de s’aligner sur les positions diplomatiques américaines ou de se retrouver engagés au sein d’une coalition, certes moins formelle qu’une alliance militaire, s’accrochent aux principes de « non-ingérence » et de « non-intervention » dans les affaires intérieures des États. Toutefois, ils sont conscients de la nécessité d’améliorer l’image de la Chine en s’ouvrant à une forme de sécurité coopérative grâce à des organisations multilatérales telle que l’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique - Ansea) et ses multiples formats dédiés à la sécurité (Asean Regional Forum ou Dialogue des ministres de la Défense dit ADMM+) ou aux opérations de maintien de la paix dans le cadre de l’ONU.
Cette timide orientation multilatérale de la diplomatie chinoise n’est pas sans créer de nombreux débats au sein de l’appareil d’État où le poids des militaires et leurs discours nationalistes prennent de plus en plus d’ascendant et favorisent une politique d’inspiration plus « bismarckienne ». La perspective du XVIIIe Congrès du Parti communiste chinois en octobre 2012 et les luttes de faction qu’elle provoque n’expliquent que partiellement cette nouvelle influence des militaires sur une politique étrangère chinoise qui s’apparente de plus en plus à une politique de puissance et qui suscite déjà un rapprochement marqué de certains pays asiatiques avec les États-Unis, alliés traditionnels comme le Japon, la Corée du Sud et l’Australie ou partenaires plus récents, comme l’Inde et le Vietnam.
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